OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Ici la Hague, Greenpeace Airways en approche… http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/ http://owni.fr/2012/05/02/greenpeace-survole-la-hague-nucleaire-atomique/#comments Wed, 02 May 2012 06:24:11 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=108043 OWNI met en ligne une vidéo inédite réalisée par un engin de Greenpeace survolant le site de La Hague, le plus dangereux de tous. L'ONG publie aujourd'hui un rapport sur l'absence de prise en compte de ces risques par les responsables français. Bienvenue à bord, sur une petite musique de Vivaldi. ]]>

Les sites nucléaires peuplent les campagnes françaises : 58 réacteurs et autres installations potentiellement exposés à des accidents provoqués par des causes extérieures. Séismes, inondations ou chutes d’avion… Pour limiter ce dernier risque, théoriquement, le survol des sites les plus importants est strictement interdit à basse altitude. Une interdiction que Greenpeace a voulu mettre à l’épreuve des faits.

Or, fin 2011, un engin de l’organisation est parvenu à survoler pendant plusieurs minutes, sans être inquiété, le site de La Hague où sont stockés des centaines de tonnes de déchets radioactifs en attente de retraitement, comme le montre une vidéo de l’ONG que nous mettons en ligne aujourd’hui (voir plus bas). Ce matin, après avoir fait atterrir un militant au sein de la centrale du Bugey, Greenpeace rend public le rapport d’un scientifique (version complète en anglais et résumé en français au bas de l’article) consacré à ce sujet. En ligne de mire : les risques en cas de crash aérien sur les installations françaises. Et l’éventuelle prise en charge de ces risques par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française et les exploitants du parc nucléaire.

Le survol de La Hague

La Hague, située à quelques kilomètres de Cherbourg, est le site de retraitement de déchets radioactifs en France. Il reçoit régulièrement les combustibles des centrales françaises et étrangères – allemandes notamment. Pourvu après les attentats du 11 septembre, entre octobre 2001 et mars 2002, de missiles sol-air destinés à abattre les avions en survol, le site est toujours sous surveillance rapprochée. Mais l’ONG, maitresse en matière d’intrusion, prouve cette fois qu’il est possible de se promener dans les airs au-dessus de cette installation nucléaire :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Effectuée à moins de 3 900 pieds (limite minimale de survol de cette installation nucléaire), l’opération a pour objectif selon Sophia Majnoni, chargée des questions nucléaires pour Greenpeace France, “de montrer que l’espace aérien interdit était pas vraiment interdit”. Précisant que le site de La Hague a été choisi pour les quantités importantes de matières radioactives qu’il contient :

C’est le lieu en France dans lequel il y a le plus stockage de matière radioactive, à la fois des piscines de combustibles irradiés et à la fois du plutonium. Il existe un certain nombre de normes sur les réacteurs qui ne s’appliquent pas pour les piscines. Pourtant après le 11 septembre, c’est le seul site où des systèmes de surveillance ont été mis en place : des missiles et un radar. Il y a des avions qui passent au-dessus de la Hague et de Flamanville. Il y a aujourd’hui un radar qui prévient un avion de chasse. Qui lui met 6 minutes pour intervenir, pour tirer. Mais est-ce qu’on peut tirer sur un boeing ? Pour les réacteurs, ils n’ont jamais pris en compte la chute d’un avion de ligne et pour les piscines ils n’ont pas pris en compte les chutes tout court. Elles sont encore moins protégées. La protection est hyper minimaliste.

Après Fukushima, Sophia Majnoni, regrette que “les catastrophes non naturelles n’aient pas été étudiées dans les stress-tests de l’Autorité de sûreté nucléaire :

La chute d’un avion de ligne c’est peu probable donc pour eux, on ne les prend pas en compte. Avant Fukushima, ils pouvaient être cohérents en disant qu’ils avaient une approche probabiliste. Or après Fukushima, cette approche de calcul de probabilité a été remise en cause. (Mais) seulement pour les catastrophes naturelles ! Les Allemands l’ont fait, les Suisses l’ont fait, mais pas la France. Il faudrait qu’en France la sécurité soit dans le giron de l’ASN au même titre que la sûreté. Notre souhait c’est d’avoir un audit sur le sujet.

Zéro risque ?

Dans le rapport, une cinquantaine de pages analyse la sûreté des installations du parc nucléaire français vis-à-vis du risque chute d’avion. Le rapport fait état de l’absence de prise en compte du risque d’accident d’avion de ligne sur une centrale mais aussi à ses abords : si le dôme au-dessus du réacteur protège le réacteur en lui-même, les installations annexes ne bénéficient pas du même degré de protection.

Ainsi le consultant spécialiste du nucléaire, John Large – à qui Greenpeace a commandé l’analyse -, explique que les problèmes peuvent être de l’ordre de ceux de Fukushima, soit plusieurs facteurs qui amèneraient la centrale à souffrir d’un accident qui ne toucherait pas directement le réacteur :

La chute d’un avion pourrait couper la centrale des sources d’approvisionnement électrique situées à l’extérieur du site et, simultanément, empêcher les groupes électrogènes de secours sur le site de fonctionner. Dans une telle situation, la centrale devrait faire face à une coupure de courant prolongée, et le refroidissement du réacteur et des piscines de désactivation ne serait plus assuré (comme cela a été le cas à Fukushima).

John Large pointe également du doigt la stratégie paradoxale de l’ASN qui dit “estime[r], en s’appuyant sur les rares événements précédents, que la possibilité d’une chute accidentelle d’un avion de ligne commercial est si faible qu’elle est donc improbable. Ces nuances mises à part, l’ASN participe pourtant à un “groupe ad-hoc sur la sécurité nucléaire (AHGNS) de l’Union européenne, chargé d’analyser les menaces liées aux attaques terroristes dans le cadre du ‘volet sécurité’ ['Security Track'] mis en place en parallèle des stress-tests post Fukushima effectués sur toutes les centrales européennes [...].

Loin d’être suffisant, selon le scientifique, qui considère que l’autorité de contrôle de la sécurité des installations nucléaires “exonère l’exploitant de la nécessité de se préparer à une chute d’avion, estimant qu’il s’agit d’un acte de guerre.”

Contestant la méthode utilisée – ” prendre en compte la simulation du crash d’un avion de combat militaire (d’environ 20 000 kilos) et de l’extrapoler à un avion commercial (pouvant peser plus de 130 000 kg), “ -, il soulève également le problème des réactions des travailleurs de l’installation :

Il est tout à fait possible qu’une bonne partie du personnel se sente dépassée et incapable de réagir si un avion venait à s’écraser sur le site. La centrale serait alors livrée à elle-même, en l’absence de tout contrôle.

Vulnérabilité

Yves Lenoir a travaillé pour le gouvernement de Basse-Saxe lors de la préparation du projet d’usine de retraitement de Gorleben et de son stockage de déchets radioactifs. Il est aujourd’hui président de l’association Enfants de Tchernobyl Bélarus. Co-auteur de Tchernobyl-Sur-Seine, il nous a confirmé la nécessité de prendre en considération, sérieusement, ces risques :

Vous avez le coeur du système, en général une enceinte simple ou double disposée autour de la cuve et des générateurs. Ensuite, sortent de l’enceinte des canalisations, quasi à l’air libre pour aller en salle des machines. Il y a aussi une alimentation électrique par le réseau extérieur et donc un risque de destructions de ces lignes électriques si un avion tombe. Il va détruire les communications de sortie et d’entrée de courant de la centrale. Qui sera entièrement dépendante des moyens de secours internes. Et puis imaginez qu’un gros porteur tombe avec ses 90 tonnes de carburant, il va mettre le feu à tout. Même s’il n’est pas tombé sur le bâtiment principal, les canalisations ne sont pas protégées.

Les calculs de l’ASN et des autres instances sont établis à partir de modélisation de la chute d’un avion de chasse sur une cuve de réacteur. Hormis les conséquences sur les abords de l’installation, l’avion de chasse pourrait aussi provoquer bon nombre de réactions en chaine.

Il y a deux types de chocs, celui d’un avion de chasse ou d’un avion avec peu de carburant et celui d’un avion de ligne. Le poids – très lourd – de l’avion de chasse, combiné au fait qu’il vole très vite, amène la chute de l’avion à être un choc dur. Sur une usine de retraitement, à une vitesse de 250m/s – caractéristiques étudiées par les instances -, la masse de l’avion est concentrée sur 1 ou 2 mètre carré. S’il tombe sur l’élément le plus résistant de l’installation telle que l’enceinte double, il passe au travers de la première enceinte mais ne perfore pas la seconde. En revanche, comme cette deuxième enceinte est élastique, elle se déforme et va déformer l’intérieur de la cuve. Le béton va avoir tendance à se disloquer donc se fissurer. Et occasionner des missiles secondaires ou blocs de béton de quelques centaines de kilos qui se détachent et voyagent dans le bâtiment. À 250m/s, les blocs de béton bougeront à 100m/s à l’intérieur. Les simulations et les tests montrent qu’ils peuvent détruire des câbles, de l’instrumentation, des canalisations secondaires, etc… Et même si le bâtiment à l’extérieur a l’air d’avoir résisté au choc, à l’intérieur il y a des dégâts.

Autre scenario : celui d’un crash d’un avion commercial. Yves Lenoir explique que “Le fuselage de l’avion peut taper dans le bâtiment du réacteur, de biais ou sur une partie arrondie. Et il pourra glisser. Le choc va endommager de manière considérable l’enceinte extérieure mais ne devrait pas provoquer trop de dégâts sur l’enceinte intérieure. Sauf que les ailes peuvent chuter sur les câbles, le kérosène provoquer un incendie, etc. Et s’il touche la salle de contrôle, quel est le niveau de protection ? Si le bâtiment n’est pas bunkerisé comme l’est le bâtiment réacteur, je donne pas cher de ce qu’il se passe à l’intérieur.” Parler ouvertement de ce genre de risque, pour le scientifique, “ce n’est pas être alarmiste :

Parce que, finalement, regardée comme ça, une chute d’avion, c’est comme le tsunami de Fukushima. C’est un cas extrême mais on a vu que le cas extrême devenait très probable dans certaines circonstances. En France on a des centaines d’avions qui décollent en permanence. Si incendie il y a, il peut y avoir un Fukushima français. Le dire ce n’est pas être alarmiste, c’est les mettre face à leurs responsabilités.

D’autant que déjà en 2001, le directeur de l’ASN – loin d’être rassurant – déclarait selon Areva (ex-Cogema) :

Comme l’a rappelé le directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire dans des déclarations ces derniers jours, aucune installation nucléaire n’a été conçue pour résister à la chute d’un avion de ligne.


Illustration via la galerie Flickr de X-Ray Delta One [CC-bysa]. Edition par Ophelia Noor pour Owni.
Captures d’écran de la vidéo de Greenpeace, Coucou !

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Karachi vu depuis Washington http://owni.fr/2012/01/12/karachi-vu-par-washington/ http://owni.fr/2012/01/12/karachi-vu-par-washington/#comments Thu, 12 Jan 2012 15:41:22 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=93947

Le 8 mai 2002 et dans les semaines suivantes, les services de sécurité du consulat américain de Karachi ont suivi et analysé l’attentat perpétré contre le bus de la Direction des constructions navales (DCN – désormais appelée DCNS). Au titre de leur mission de renseignement sur les actes terroristes perpétrés au Pakistan, en particulier lorsqu’ils visent des cibles des États-Unis ou de leurs alliés.

Nous avons obtenu auprès de Washington les notes qu’ils ont rédigées en relation avec l’attaque terroriste perpétrée ce jour-là contre le bus des employés français de la DCN provoquant la mort de 15 personnes et en blessant 23 autres. Ces notes ont toutes été transmises par télégramme diplomatique au siège du département d’État à Washington.

Nous les avons reçues après avoir formulé une requête auprès de l’administration américaine au titre du Freedom of information act (FOIA), une loi permettant à n’importe quel citoyen d’obtenir, personnellement, la dé-classification de documents étatiques.

Quelques heures après l’attentat

La première d’entre elles est datée du 8 mai 2002 à 12h12, soit quelques heures après l’explosion qui a ébranlé Karachi ce matin-là, en plein centre-ville, devant l’hôtel Sheraton où étaient logés des salariés de la DCN envoyés au Pakistan pour assembler des sous-marins que la France avait vendu à ce pays. Ils s’apprêtaient à rejoindre leur lieu de travail dans un bus de l’armée pakistanaise.

Ce document classé confidentiel (copie intégrale ci-dessous) est rédigé par le consul général américain, John Bauman, à l’attention du Secrétaire d’État, avec demande de transmission immédiate. Le responsable diplomatique y affirme notamment :

L’attaque suicide à la voiture piégée du 8 mai 2002 était sans précédent pour trois raisons. Premièrement, la force de l’explosion était plusieurs fois supérieure à la magnitude provoquée d’ordinaire par les engins utilisés par les extrémistes locaux. Deuxièmement, c’est le premier attentat suicide enregistré à Karachi (…) Troisièmement, cette attaque visait un contractant des forces armées pakistanaises ; en l’espèce des ressortissants français travaillant sur un projet de sous-marin.

Les services de sécurité du consulat américain semblent ainsi disposer d’outils de mesure pour calculer l’impact et le souffle des explosions. Selon le consul général, au regard de ces relevés, il faut remonter à 1987 pour observer un attentat d’une telle puissance survenu à Karachi (point numéro 3 de sa note).

Évènement singulier

Mais c’est la nature de la cible qui paraît surtout éveiller la curiosité du fonctionnaire américain. Jamais, en règle générale, les groupuscules islamistes ne s’attaquent à l’armée. Pour d’évidentes raisons : la plupart du temps ces groupuscules ne sont rien d’autres que des supplétifs des services pakistanais, historiquement chargés de répandre le jihad au Cachemire et en Afghanistan. Selon cette note :

Le seul attentat répertorié dans le passé contre les forces armées pakistanaises date de 1988, lorsqu’un appareil AC-130 transportant le général Zia Ul Haq [alors chef d’État du Pakistan, NDLR] s’est crashé tuant tous les passagers dont l’ambassadeur Arnie Raphel. Les investigations sur le crash n’ont pas été concluantes ; [la suite de ce paragraphe n’a pas reçu un avis favorable de déclassification, cependant, selon des chercheurs pakistanais des chefs des services secrets seraient impliqués dans cet attentat, NDLR]

Dès le premier jour, l’acte terroriste qui vise les salariés de la DCN est donc perçu par les fonctionnaires américains comme un événement criminel singulier, sans rapport avec le climat déjà violent de l’époque – nous sommes huit mois après le 11 septembre 2011. Le 17 mai 2002, le corps sans vie de Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal, est retrouvé dans les faubourgs de Karachi. Et le 13 juin 2002, quatre semaines environ après leur première note sur l’attentat contre le bus de la DCN, les fonctionnaires du consulat câblent à leur hiérarchie un ensemble de données factuelles sur tous les attentats perpétrés à Karachi depuis le début de l’année 2002 (copie intégrale ci-dessous).

On y découvre que de multiples attentats se sont produits depuis janvier 2002 dans cette ville portuaire, authentique base arrière pour quantité de moudjahidines. Mais, selon un indice de létalité que définissent les Américains, aucun de ces multiples attentats ne peut être rapproché de celui qui a frappé la DCN. À partir des données du département d’État mentionnées dans ce document, nous avons établi le graphique suivant :

Paragraphes blanchis

Mais ces données évolueront dramatiquement quelques jours plus tard. Le 14 juin un attentat à la voiture piégé prend pour cible l’immeuble de ce même consulat américain de Karachi ; tuant 13 personnes et en blessant 40 autres. C’est, du strict point de vue des mesures effectuées sur ces actes terroristes, le seul attentat comparable en intensité à celui qui a touché la DCN. Un officier de sécurité du consulat américain, Rendall Bennett, semble s’intéresser à ces questions. Le courrier de l’un de ses adjoints, révélé par Libération, montre que dès le 8 mai 2002 son entourage ne croyait pas à l’hypothèse d’un attentat islamiste comme tant d’autres.

Le 1er juillet, il envoie un rapport confidentiel (copie intégrale ci-dessous) au département d’État sur l’ensemble de ces questions (seule raison pour lesquelles nous avons obtenu sa transmission). Seulement, l’essentiel des paragraphes a été blanchi au motif que leur divulgation porterait atteinte aux intérêts (diplomatiques, vraisemblablement) des Etats-Unis.

Pédigrée complet

Le 9 juillet 2002 marque, pour les Américains, un tournant dans leur recherche pour identifier les responsables de l’attentat contre leur consulat. Les auteurs supposés ont été arrêtés, plusieurs d’entre eux semblent appartenir au groupuscule Harakat al Moujahidine.

L’équipe de Rendal Bennett câble alors un compte rendu sur des discussions qu’ils ont eues avec des cadres de la police à l’origine de leur arrestation (copie intégrale ci-dessous). Ces derniers leur fournissent un pedigree complet des suspects. Dans leur note, les fonctionnaires américains détaillent le cas de Mohammed Hanif (page 3 du document), lequel reconnaît avoir participé à des opérations de repérages pour l’attentat du 8 mai 2002.

Or, selon un procès-verbal de la DST française du 17 juillet 2002, le même Mohammed Hanif obéissait aux ordres d’un responsable des forces paramilitaires pakistanaises des Rangers, et dénommé Waseem Akhtar. Et ce sont ces mêmes unités des Rangers qui sont à l’origine de l’arrestation en un temps record – environ trois semaines – des membres du commando responsable de l’attentat contre le consulat américain, comme le rapportent les notes du département d’État que nous avons obtenues.

Dans leur ensemble, ces nouvelles pièces renforcent l’hypothèse d’une implication du groupe Harakat al Moujahidine, qui aurait pu agir sur instruction d’une partie de l’appareil sécuritaire pakistanais.

Précision : durant l’été 2002, l’auteur de l’article a été associé à l’enquête qui a débouché sur la rédaction des notes Nautilus. Depuis 2008, ces notes sont à l’origine du réexamen de l’affaire Karachi.

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11 sept. chaud les marronniers http://owni.fr/2011/09/13/11-sept-chaud-les-marronniers/ http://owni.fr/2011/09/13/11-sept-chaud-les-marronniers/#comments Tue, 13 Sep 2011 15:24:49 +0000 Paule d'Atha http://owni.fr/?p=79097 En 10 ans, l’anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 est devenu le plus gros des marronniers dans la plupart des rédactions. Difficile de faire l’impasse sur le sujet, le web n’a pas failli à la règle et certains médias, que l’on a connus plus inventifs, s’y sont cassé les dents.

C’est le cas de l’agence Reuters, par exemple, qui sort une série d’infographies pompeusement appelées “interactives” – on y cherche toujours les interactions – ou encore du Guardian, qui produit une cartographie, assortie d’une frise chronologique, pour marquer les périodes de “succès” puis de décadence d’Al Qaïda, dans une forme assez pauvre.

Alors qu’applications et dossiers spéciaux envahissaient les sites médias comme une armée de clones, nous avons scruté les flux à la recherche des perles proposant une vraie mise en scène novatrice de l’info. Et quelques unes sont apparues, cachées dans la forêt.

L’occasion d’innover

Une des applications les plus inventives est celle réalisée par USA Today intitulée “9/11 + ME“. Utilisant le graphe social de Facebook pour personnaliser le contenu proposé aux utilisateurs, elle présage de nombreuses futures utilisations. En effet, elle se compose en deux parties : la partie “key events” qui recense les différents “évènements clés” survenus depuis le 11 septembre 2001, répartis en différentes catégories (terrorisme, patriotisme, politique, sport, arts…) et la partie “+ ME”. Cette partie, qui nécessite une connexion via son compte Facebook, fait évoluer son contenu (victimes, lieux mémoriels, dépenses de sécurité,…) en fonction de l’âge et de l’origine géographique de l’utilisateur.

Autre application étonnante, celle du New York Times qui recense les enregistrements audios réalisés par l’administration aérienne fédérale (F.A.A.), le commandement de l’espace de défense aérospatial nord américain et par la compagnie American Airlines au matin du 11 septembre 2001, de 8h13 à 10h32. Les enregistrements, positionnés sur une frise chronologique et accompagnés de leur transcription, permettent de revivre différemment, de l’intérieur et en audio, les attentats.

Dans cette même idée de bande-son, MercuryNews a publié la transcription de la boîte vocale d’un passager du vol 93 puis réalisé une infographie sur la base de ces transcriptions.

Infographie réalisée à partir de la transcription (MercuryNews)

Le New York Times a également évalué le coût du 11 septembre : impact économique, coûts pour la sécurité intérieure, dépenses de guerre et y compris frais engendrés par les futurs vétérans ; par le biais d’une infographie simple et fonctionnelle.

Time Magazine, fidèle à son travail graphique de haute volée a de son côté produit l’application “Portraits of Resilience“. 40 portraits de femmes et d’hommes  – familles de victimes, pompiers, artistes, militaires (dont le Général Petraeus) et politiques (dont Georges W Bush) – présentés dans une mise en scène simple, classieuse et très efficace en HTML5.

La BBC proposait quant à elle une intéressante balade interactive dans Ground Zero.

Le plus grand micro-trottoir “ever”

Reste que, derrière ces belles réalisations, le gros des troupes éditoriales a creusé un seul et même sillon : celui de l’uniformité. La prolifération de dispositifs d’appels à témoignages, où les internautes pouvaient raconter leur 11 septembre, partager leurs souvenirs, expliquer où ils se trouvaient et ce qu’ils faisaient est affligeante de banalité.

Que ce type de dispositif soit le premier à venir en tête dans une large majorité des rédactions, n’est pas surprenant. En 10 ans, au souvenir des attentats du World Trade Center, s’est attaché le postulat que “tout le monde se rappelle ce qu’il faisait ce jour-là”. À tel point que “rater le 11 septembre” est devenu suffisamment exceptionnel pour que Slate y consacre un article.

Mais qu’un si grand nombre de médias n’aille pas chercher plus loin que cette première idée toute simple l’est davantage : nous avons dénombré pas loin d’une trentaine d’applications sur le modèle du “Racontez-nous / Racontez-vous”, et la liste est loin d’être exhaustive.

Les quotidiens nationaux (Libération, Le Monde, L’Humanité, Le Figaro) aussi bien que les grands groupes de médias (TV5 Monde, France 24, Arte, Radio France, Canal+, les Echos) ou les quotidiens de presse régionale (Midi Libre, Maine Libre, la Nouvelle République, Sud Ouest, Ouest France,…) et même Psychologies magazine s’y sont mis, avec plus ou moins de créativité et d’interactivité.

Voici quelques exemples :

Web série d'Arte

Appel à témoignages du Figaro

Application Facebook de France24


Site Internet du Télégramme

Même tendance hors de l’hexagone : le New York Times, en partenariat avec Youtube ; le Guardian, El Mundo, ou encore National Geographic ont voulu connaître les souvenirs de leur audience.

Application de C New York

Web application d'El Mundo

Application Facebook de National Geographic

Application NY Times et YouTube

Nos souvenirs étaient drôlement courtisés, en ce 11 septembre 2011.

L’innovation suprême aurait peut-être été de créer un seul lieu pour recueillir tous ces souvenirs multilingues, hors des chapelles médiatiques. La vraie question qui pointe derrière est : que nous raconte cette étrange évidence qui a poussé tant de médias à ouvrir un espace pour que chacun raconte “son 11 septembre” ? Comme une catharsis virtuelle, un besoin de restituer et d’être entendu. Comme si chaque témoignage cherchait à affirmer “c’est aussi inscrit dans mon histoire personnelle, dans mes peurs, mes espoirs, dans ce que je suis devenu”.

À ce titre, la carte “Where were you on Sept 11, 2001 ?” réalisée par le New York Times est édifiante, notamment comparée au listing des titres de la presse américaine des 11 et 12 septembre 2001 réuni par Christian Annyas. Alors que, quelques heures après les attentats, “Terror”, “War” ou “Evil” faisaient les gros titres, les contributeurs du NYT, 10 ans plus tard, nous racontent autre chose. L’application permet aux internautes d’associer leur ressenti actuel à leur témoignages : colère, peur, aucun changement (ndlr : depuis 09/11), sécurisé, espoir. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer a priori, les points bleus de “hope” (espoir) sont plus nombreux sur la carte que les rouges de “angry” (colère). Même si les points oranges “fearful” (crainte) sont bien présents, c’est une visualisation étonnamment positive qui ressort de cet exercice.

Maintenant que cette masse de témoignages est là, peut-être faudrait-il la traiter pour voir quelle(s) histoire(s) elle raconte. C’est là qu’est l’intérêt de toute initiative de crowdsourcing, non ?

Sur le 11 septembre, retrouvez également l’application interactive d’OWNI sur la multiplication des lois dites antiterroristes.

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Les “varités” du 11 septembre http://owni.fr/2011/09/10/les-varites-du-11-septembre-911/ http://owni.fr/2011/09/10/les-varites-du-11-septembre-911/#comments Fri, 09 Sep 2011 22:29:32 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=78827 Jacques Lacan se gardait à ce point de la vérité, qu’il lui préférait la varité, néologisme produit du croisement entre vérité et variation. Parce que les vérités, surtout les plus définitives, les plus assurées, varient autant que les Hommes. Et ce mouvement-là s’applique autant au registre de l’intime, qu’aux événements historiques autour desquels des sociétés s’identifient.

Le 11 septembre n’échappe pas au phénomène. En dix ans, il a lui aussi connu ses varités. Qu’on songe aux multiples théories conspirationnistes, forcément évolutives pour coïncider avec la moindre parcelle de réalité factuelle qui, à intervalles réguliers, était défrichée.

Force narrative d’une légende

Ces théories doivent leur succès à des dynamiques désormais bien connues. Elles s’expliquent par le manque de transparence de l’administration américaine, autant que par la force narrative d’une légende bien écrite construite par des idéologues – plein de bonne foi la plupart du temps ; l’un et l’autre s’alimentent. Puisqu’au lendemain de ces attaques, la Maison Blanche entreprit de mener des guerres et coupa court à l’instruction judiciaire sur cet acte criminel qui aurait dû aboutir à un procès pénal, avec confrontation des preuves et des témoignages. Tandis que la portée politique du même acte criminel conduisait bon nombre de citoyens à instruire par eux-mêmes ce procès ajourné.

Dix ans plus tard, ces varités sur le 11 septembre ont perdu de leur souffle. Les variations interviennent désormais à la marge, avec une amplitude désormais conforme à nombre d’événements de l’histoire contemporaine, dont la connaissance n’évolue plus que par touches légères.

Car la mémoire factuelle de ces événements s’est progressivement ouverte. En particulier lors de la publication du rapport d’enquête du Congrès américain au mois de juillet 2004. Ne laissant de côté que quelques pièces spécifiques, que les historiens apprécieront. Tel par exemple, le document du FBI ci-dessous dévoilé par OWNI et qui synthétise l’ensemble des déplacements et des activités des 19 pirates dans les mois qui ont précédé le 11 septembre. Ce rapport de 198 pages, consacré aux cheminements des 19 membres d’Al-Qaeda, répertorie avec minutie quantité d’opérations bancaires, d’appels téléphoniques et de passages de frontières, listés dans la perspective d’un procès qui n’a jamais eu lieu.


Longtemps après les premiers cris lancés par les conspirationnistes, dès le mois de janvier 2002, l’immense majorité des pièces relatives au 11 septembre a été mise à disposition de la communauté des chercheurs. Par des voies certes un peu contraignantes. Le 8 janvier 2009, la commission d’enquête du Congrès américain a transmis aux archives nationales l’intégralité des témoignages, rapports des services secrets ou confidences à huis clos recueillies par les parlementaires lors de leurs travaux. Le premier lot comprenait quatre mètres cubes de documents, progressivement rangés dans les rayonnages des Archives fédérales, dans la banlieue de Washington.

Sur le site web des Archives nationales, les chercheurs peuvent ainsi sélectionner les classeurs et les cartons de documents qu’ils souhaitent examiner en consultation. À titre d’exemple, toutes les notes de la CIA consacrées aux mouvements islamistes et à Al-Qaeda sur une période allant de 1986 à 2004 peuvent être commandées ici.

D’ores et déjà, quelques auteurs se sont emparés de cette matière et proposent maintenant des versions plus complètes encore que le rapport du Congrès américain de 2004. C’est le cas d’Anthony Summers et de Robbyn Swan qui viennent de publier en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis l’une des sommes les plus sérieuses sur le 11 septembre (The Eleventh day, Ballantine Books). Énième varité destinée à mieux prendre position vis-à-vis de cette réalité.


Crédit Photo FlickR CC : by-nc jasonepowell

Retrouvez l’application sur les lois antiterroristes dans le monde développée par OWNI en partenariat avec  RFI.

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Une planète antiterroriste http://owni.fr/2011/09/09/911-lois-antiterroristes-terrorisme/ http://owni.fr/2011/09/09/911-lois-antiterroristes-terrorisme/#comments Fri, 09 Sep 2011 16:10:52 +0000 Pierre Alonso et Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=78686 Cette application interactive (faites glisser la barre chronologique, cliquez sur les pays etc…) a été développée par OWNI en partenariat avec RFI.

L’application ci-dessus permet de naviguer dans les lois antiterroristes votées dans le monde, au lendemain d’attentats, 11 septembre ou autres. Ces lois constituent le noyau le plus dur des lois sécuritaires, celles qui restreignent drastiquement les libertés individuelles.

Comme le montrent les couleurs de la frise chronologique sur l’application, les années post-11 septembre ont connu un accroissement exponentiel des dispositifs de lutte antiterroriste. Certains existaient déjà. En France, l’arsenal législatif existait depuis 1986, lorsqu’une vague d’attentats touche le pays. La “loi fondamentale relative à la lutte contre le terrorisme” institue une justice d’exception pour les affaires terroristes : un corps de juges d’instruction et de procureurs spécialisés est créé, “la 14e section du parquet”.

En 1996 est introduit un nouveau délit, “l’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste”, clé de voûte de l’antiterrorisme à la française, fondé sur la justice préventive. Un délit spécifique à la législation française, très critiqué. “Il ouvre la voie à l’arrestation, l’interpellation, la détention sur simples suspicions. Aucun acte matériel n’est nécessaire” explique Patrick Baudouin, avocat spécialisé sur les questions terroristes et président d’honneur de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH).

Au cœur des années de plomb, l’Italie s’était déjà dotée d’une législation antiterroriste. Dès 1975, la loi Reale consacre la prépondérance de la police sur la magistrature dans les enquêtes et les accusés peuvent être interrogés sans avocat. Des dispositifs similaires sont mis en place en Espagne pour lutter contre ETA, le groupe indépendantiste basque : renforcement des effectifs policiers, augmentation des contrôles sur les routes en 1983, introduction en 1984 du statut du repenti pour les prisonniers ayant commis des actes terroristes, régime pénitentiaire spécial en 1991. En Inde aussi, le Terrorist and Disruptive Activities Act de 1985 institue une justice d’exception pour les actes terroristes.

Alibi

La lutte antiterroriste a servi d’alibi aux régimes autoritaires, rappelle la FIDH. La Tunisie de Ben Ali, Égypte de Moubarak ou la Russie de Medvedev et Poutine, entre autres, s’appuient sur des lois antiterroristes “pour conforter le pouvoir politique déjà en place” dénonce le vice-président de l’ONG, Dan Van Raemdonck.

En 2003 est votée à Tunis la loi antiterroriste “relative à l’appui aux efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l’argent.” Elle institue une justice d’exception pour les actes terroristes et permet de protéger l’identité des agents de la Direction de la Sécurité de l’État. “Une caricature”, selon Patrick Baudouin, de la répression politique des militants ou opposants au nom de la lutte contre le terrorisme.

Après le 11 septembre, même les démocraties traditionnellement très protectrices des libertés individuelles ont aussi adopté des législations antiterroristes. Le Patriot Act, voté aux États-Unis 40 jours après les attentats, et son équivalent britannique Anti-terrorist Act en sont les symboles. D’autres pays leur emboîtent le pas : le Canada, l’Australie ou encore l’Allemagne.

Impossible définition

Au cœur de ces législations, une définition du terrorisme. Jamais la même. L’Union Européenne a tenté d’harmoniser les législations des États membres avec la décision-cadre du 13 juin 2002. Une définition large ici aussi, pour faire consensus. Laurent Bonelli, sociologue et maître de conférence en science politique à l’Université Paris-X, résume l’équation européenne :

Dès lors que l’on se retrouve dans un rapport de force politique, il devient compliqué pour les États de donner une même définition du terrorisme. Il s’agit d’une bourse d’échange des peurs où il faudrait que les États reconnaissent les groupes terroristes des autres pays pour en avoir une même définition.

De grands écarts existent entre les définitions européennes du terrorisme. Le Royaume-Uni considère que l’acte terroriste consiste à influencer le gouvernement ou une organisation gouvernementale internationale dans une prise de décision. En Allemagne, le soutien apporté à une grève de la faim avec des militants étrangers peut être qualifié d’acte de terroriste. L’objectif de la décision-cadre est d’harmoniser les législations européennes en matière de lutte contre le terrorisme, au risque d’aliéner les libertés individuelles comme le rappelle Laurent Bonelli :

La commission européenne s’est constituée comme interlocutrice principale pour l’Europe et a demandé une évolution de la législation antiterroriste des États membres quitte à avaler des couleuvres concernant le principe vie privée plutôt que de se tenir vent debout sans rien faire.

Par capillarité, ces lois débordent sur les infractions de droit commun. La lutte contre le trafic de drogue ou contre l’immigration illégale s’appuient sur des dispositifs, notamment de surveillance, mis en place par les lois antiterroristes. Elles débordent aussi sur l’ensemble des citoyens en multipliant les fichiers de police. “De nouvelles formes de contrôle social à l’égard des citoyens émergent” critique Dan Van Raemdonck de la FIDH.

Le simple fait de visiter un site Internet classé comme terroriste peut suffire aux autorités allemandes pour déclencher une procédure sophistiquée de mise sur écoute, prévoyant également la localisation des téléphones portables ainsi que la collecte d’informations dont la nature n’est pas clairement spécifiée. De nombreux pays du monde ont généralisé la collecte massive de données par l’intermédiaire des fournisseurs de télécommunications, à l’image de la France avec la loi sécurité quotidienne votée en octobre 2001.

Justice d’exception

Les législations antiterroristes s’appuient sur une justice d’exception : cour spéciale, procédures spécifiques. Au Royaume-Uni, depuis 2006, la période de garde à vue a été fixée à 28 jours. En Colombie, les forces armées peuvent détenir un suspect pendant 36 heures tout en menant des perquisitions à leurs domiciles et procéder à des écoutes sans mandat de l’autorité judiciaire.

En juin dernier, un projet de loi en Arabie Saoudite a été déposé. Il prévoit une période de 120 jours de détention au secret pour les personnes suspectées de terrorisme, une période qui peut devenir illimitée avec l’accord d’un tribunal spécial. Le tout sans inculpation, sans jugement et sans avocat.


Retrouver l’intégralité du dossier de RFI sur les 10 ans des attentats du 11 septembre.

Application designée par Elsa Secco et Marion Boucharlat, développée par Pierre Romera avec Julien Goetz.

Crédits Photo FlickR CC by-nc Jasone Powell

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Le jour où les avions se sont arrêtés http://owni.fr/2011/09/08/avions-arretes-11-septembre-2001-world-trade-center/ http://owni.fr/2011/09/08/avions-arretes-11-septembre-2001-world-trade-center/#comments Thu, 08 Sep 2011 17:02:08 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=78563 Le 11 septembre, les vols d’avion sont bradés. Par superstition, sans doute, de nombreux voyageurs évitent cette date. Ils ne le font pas en souvenir du coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, mais à cause de l’attentat du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001.

Une date marquante, il est vrai, autant pour le fait historique lui-même, pour les images qu’il a produites que pour tout ce que cela a déclenché ou plutôt, autorisé : des guerres moyen-orientales, des lois réprimant les libertés publiques et le sentiment général, à tort ou à raison, d’un certain déclin des pratiques démocratiques dans les pays les plus développés.

Souviens-toi, souviens-toi du 11 septembre

Je me rappelle bien ce jour là. Ma fille aînée, qui avait alors onze ans, nous avait prévenus de ce qui était pour elle un évènement incroyable : toutes les chaînes diffusaient le même programme. À ce moment, personne ne savait ce qu’il se passait, on voyait de la fumée sortir d’une des tours qu’un avion venait de percuter. La thèse de l’accident a été abandonnée quand on a vu un second avion percuter l’autre bâtiment. On a vu les tours s’effondrer, en direct, l’une après l’autre. Je ne me souviens plus trop de l’enchaînement des évènements ensuite : on a parlé d’un avion s’écrasant sur la Maison Blanche (aussitôt oublié, il s’agissait vraisemblablement d’une erreur), d’un autre sur le Pentagone, d’un autre encore qui ne répondait plus et que l’on avait dû abattre, le climat était à la panique complète, les images étaient rediffusées en boucle, on revoyait de malheureux courtiers se jeter du haut des tours jumelles dans un geste désespéré dont le sens n’est toujours pas très clair.

J’aimerais bien revoir l’ensemble de ces images, disons les deux premiers jours, pour me rappeler dans quel ordre tout ça nous est parvenu, savoir à quel moment précis le coupable a été désigné, aussi. Je me rappelle enfin que pour quelques dizaines d’heures, tous les vols civils du monde ont été annulés, permettant aux météorologues et aux observateurs de la qualité de l’air de collecter des données complètement inédites sur l’impact écologique de l’aviation. On peut minimiser l’évènement, rappeler le nombre de fois où les États-Unis ont été la cause directe ou indirecte d’un grand nombre de morts, mais il n’empêche que dans les heures qui ont suivi l’effondrement des tours, le monde s’est arrêté, on ne parlait que de ça et on ne pensait qu’à ça. Quelque chose de nouveau s’était produit, un évènement sidérant, dont on a tout de suite été certains qu’il allait changer énormément de choses à la marche du monde — et ce fut le cas.

Les coupables désignés ont été les terroristes islamistes du groupe Al Qaeda, qui s’en étaient déjà pris au World Trade Center en 1993. Je ne me rappelle pas que l’attentat du 11 septembre ait été explicitement revendiqué par Al Qaeda, mais il n’a jamais été démenti non plus. Le président de l’époque, George Bush, élu récemment dans des conditions complexes (au terme d’un recomptage des votes), dont la seule particularité notable jusqu’ici était d’être le fils du prédécesseur de son prédécesseur, connaissait une baisse régulière de son taux de popularité. En allant sur les gravats de Ground Zéro un casque de pompier sur la tête et en promettant une guerre en Afghanistan, George Bush a vu sa cote de popularité passer en quelques jours de cinquante à quatre-vingt dix pour cent : l’effroi de tous les américains, fragilisés comme jamais dans leur histoire, avait eu cet effet inespéré.

La guerre oui, mais pas sur notre territoire

Il faut dire que depuis l’attaque de Pearl Harbour , le pays n’avait jamais été attaqué sur son sol. En fait, les États-Unis, qui sont pourtant en guerre permanente depuis qu’ils existent, ne sont pas du tout habitués à être pris pour cible de manière directe. Dans la foulée de cet enthousiasme bushiste, quatre-vingts pour cent des américains soutenaient encore leur président, le 26 octobre 2001, lorsque celui-ci a fait voter le Patriot Act, un arsenal juridique qui donnait des pouvoirs étendus aux services secrets et limitait nettement les libertés publiques : droit à la vie privée, droit d’expression, droits de la défense des accusés. Ne parlons pas de l’amalgame honteux qui associait à Al Qaeda l’Iran la Corée du Nord et surtout l’Irak, victime d’une guerre aux justifications vaseuses et mensongères.

Enfin, New York, siège des Nations Unies, symbole d’une Amérique cosmopolite liée à la vieille Europe, centre du XXe siècle, a momentanément semblé vaincue par ses propres valeurs d’ouverture au monde. Et ce n’est pas un petit symbole.

De manière opportuniste, le gouvernement fédéral venait d’obtenir de nombreuses choses qu’il aurait été difficile ou impossible à obtenir autrement, et ceci avec le consentement pleutre du parti Démocrate (qui a voté le Patriot Act et accepté la guerre en Irak) mais aussi de la plupart des alliés des États-Unis, à l’exception de la France dont la résistance reste le dernier “beau geste” historique à mon avis. Il faut dire que la menace était forte, le président de la première puissance militaire n’avait pas hésité à lâcher :

Vous êtes soit avec nous, soit contre nous

La théorie du complot dans l’air du temps

La théorie d’un “choc des civilisations” que Ben Laden ou George Bush ont tenté d’imposer à l’opinion internationale semblait pourtant motivée par une raison certes civilisationnelle mais pas spécialement religieuse, je veux parler du pétrole. La famille Bush et la famille Ben Laden étaient partenaires financiers dans le domaine, et Oussama Ben Laden, renégat de sa famille, avait quand à lui été soutenu par la CIA, qu’avait justement dirigé George Bush père, pendant la guerre entre l’URSS et l’Afghanistan. La proximité amicale, historique, financière et stratégique entre différents protagonistes et les conflits d’intérêts (il suffit de penser au fait que le vice-président Dick Cheney était l’ancien directeur de la société Halliburton, titulaire de milliards de dollars de contrats avec l’armée) ou les incohérences dans la traque d’Oussama Ben Laden (jusqu’à son incompréhensible assassinat) ont donné à certains l’idée folle que la chute des tours jumelles avait été décidée et exécutée par la CIA.

C’est la fameuse “théorie du complot”, qui a été décrédibilisée par ceux qui l’ont soutenue médiatiquement et ont tenté de la démontrer, expertises “indépendantes” farfelues à l’appui, mais qui n’a pourtant rien d’absurde : après tout, il est déjà arrivé que les États-Unis attaquent leur vassaux en se faisant passer pour leurs rivaux, comme dans le cas du spectaculaire attentat de la Gare de Bologne, en 1980, organisé par des “Brigades rouges” qui étaient en réalité des néo-nazis de la loge maçonnique . Propaganda due, fournis en explosifs par Gladio, c’est à dire la branche italienne de Stay Behind, un service secret de l’Otan chargé de diffuser en Europe la peur du socialisme.


Les complots existent. Les attentats destinés à accuser d’autres que ceux qui les ont perpétrés, y compris des attentats contre soi-même, ne sont pas rares dans l’histoire : qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la gale, n’est-ce pas. Mais pour moi, l’hypothèse du complot d’État reste peu vraisemblable, et ce pour des questions d’image.

Pour commencer, la raison d’État est une notion qu’une majorité de gens admet à des degrés divers, mais toujours à condition que celle-ci ait un lien direct avec ce qui est censé être protégé ou conquis. On peut prendre pour exemple la question des indiens d’Amérique. Malgré quelques films tardifs d’auto-flagellation (Little Big Man, etc.), les Américains vivent assez bien avec l’idée du génocide des indigènes. Certaines parties de leur histoire les mettent un peu plus mal à l’aise. Le film Heaven’s Gate (1980), de Michael Cimino, a par exemple provoqué à sa sortie un rejet général de la part de la critique et du public, car il affirmait que les grands propriétaires terriens qui ont fondé le pays l’ont fait en assassinant les immigrants pauvres qui étaient venus chercher la bonne fortune sur le nouveau continent, et dont la présence gênait : il y a ici une dissonance entre deux mythes, celui des immenses puissances financières telles que le pays sait en produire, et celui du pays où “tout est possible” et où chacun a les mêmes chances de réussir.

La construction d’un imaginaire national

Par ailleurs, si les États-Unis adorent s’inventer des ennemis et les monter en épingle, il est en revanche insoutenable pour eux de se voir en victimes d’une authentique défaite, et je doute qu’ils prennent sciemment le risque d’en subir.

Virtuellement, au cinéma ou dans les comics, les États-Unis ont été menacés par des saboteurs nazis, par des sous-mariniers japonais, par des arabes délirants (les Lybiens dans Retour vers le futur, par exemple), ou par d’autres aliens, venus de l’espace ou de pays exotiques. Mais ces défaites, toujours dues à la fourberie de l’ennemi, ne sont jamais que provisoires.

Le cas-limite est le film Pearl Harbour, par Michael Bay (2001), qui transforme une défaite historique traumatisante en quasi-victoire, puisque l’on y voit deux valeureux pilotes détruire à eux seuls la plupart des avions japonais puis, quelques mois plus tard, aller bombarder Tokyo : le film s’achève donc sur un succès, le martyr est exclu.

La politique extérieure américaine n’est justifiée, dans l’opinion publique du pays, que par le sentiment d’être du “bon côté”, d’être mondialement enviés (et donc d’avoir toutes les raisons de se défendre, y compris préventivement) et enfin, par un sentiment d’invincibilité, du moins d’invincibilité sur leur propre sol, car ailleurs il en va autrement : les guerres de Corée, du Viêt Nam, d’Irak ou d’Afghanistan sont loin de pouvoir être qualifiées de victoires. Si la défaite extérieure est gérée par diverses fictions et par des rites (le rapatriement des soldats tombés pour le drapeau, les cérémonies dans les cimetières militaires,…), la défaite intérieure n’a pas vraiment d’image, n’est pas imaginable. Quant à l’agression, elle est toujours de l’autre côté : en se fiant exclusivement aux films de fiction, on peut imaginer que les États-Unis sont constamment attaqués par d’autres pays et ne font que répliquer légitimement à ces assauts, tandis qu’en regardant l’Histoire, on constate l’exact opposé : des siècles de guerres”préventives”, “anticipatives”, c’est à dire des guerres déclenchées par les États-Unis.

Pour accepter sa situation très singulière — celle d’un empire martial bâti sur une terre spoliée qui assure le confort d’une partie de ses citoyens au détriment du reste du monde, si l’on doit résumer —, les États-Unis ont construit assez spontanément une mythologie séduisante en laquelle ils sont les premiers à croire, qui s’exprime avant tout dans les fictions populaires et qui propose au public mondial une vision symbolique cohérente de la marche du monde. La légitimité de la domination ; la supériorité de la décision sur l’analyse ; de l’action sur la réflexion ; du “bon sens” (c’est à dire des préjugés) sur l’intelligence ; l’héroïsme des conquêtes ; l’envie ou la jalousie qu’est censé susciter le modèle américain ; etc.

Cow-boys libres et aux pieds sur terre ; président fondamentalement honnête et courageux, protection divine (parfois si bête que les traducteurs français l’éludent des adaptations de séries ou de films), étrangers hostiles mais — et c’est une assez bonne raison — dont les pays sont traités comme une aire de jeu, … Notre imagination, l’imagination planétaire, est en partie limitée, bornée par l’efficacité des scénaristes hollywoodiens.

D’autres modes de pensée existent pourtant

En même temps, les États-uniens sont aussi les premiers producteurs du contre-poison aux œuvres qui relèvent de l’idéologie américaine. Il existe chez eux une grande tradition de résistance au patriotisme forcé, à la bigoterie, à l’impérialisme de leur pays, à la société de consommation, à l’organisation patriarcale et aux académismes esthétiques. On la trouve, à des degrés divers (du rejet total de la civilisation américaine contemporaine à des revendications plus ponctuelles), dans les contre-cultures qu’on a appelées beat, freak, hippie, etc. : William Burroughs, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso, Robert Crumb, John Waters, Philip K. Dick, Bob Dylan et Joan Baez, Hakim Bey, Michael Moore. On la trouve aussi (et souvent en lien étroit avec les précédents cités), à l’université, avec des personnalités telles que Noam Chomsky, Donna Haraway, Angela Davis, Howard Zinn. On peut bien sûr remonter plus loin dans l’histoire avec des gens tels que Henry David Thoreau. Il existe aussi une forte contre-culture « de droite », parfois opposée à l’État fédéral : survivalistes et autres libertariens.

Mais tous ces mouvements plus ou moins underground souffrent d’une part de leur statut, qui fait d’eux, et parfois malgré eux, des cautions démocratiques, mais ils souffrent aussi de leur récupération médiatique : caricaturés, achetés, transformés en marques, en clichés, victimes d’hagiographies qui renvoient leur pensée et leur engagement à l’histoire ou la résument à des anecdotes,… Qu’on les ignore, qu’on fasse d’eux les épouvantails de leur propre engagement ou qu’on les affaiblisse en les célébrant ou même en continuant leur travail, ils sont toujours gérés et, finalement, à peu près inoffensifs.

Plus efficaces sont parfois les artistes qui jouent le jeu de l’entertainment et avancent en quelque sorte masqués, touchant un large public et parvenant à donner une publicité extraordinaire à des idées subversives. Bien sûr, leur attitude peut aussi être questionnée et elle est à double-tranchant : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, certes, mais dans un message transmis sous forme de divertissement, c’est le divertissement qu’on retient le plus, et qui reçoit le consentement, pas l’éventuel message politique.

De plus, ces œuvres se perdent souvent dans la masse des films ou des séries de propagande patriotique qui, souvent, épousent le même forme et ont les mêmes qualités, et qui feignent même parfois la subversion (un président noir dans 24 heures chrono, par ex). Pourtant, j’admire beaucoup les figures de cette étonnante “contre-culture mainstream”, si on me permet cet oxymore, dans laquelle je range, à des niveaux de subversion, là encore, très divers, Matt Groening (Les Simpson, Futurama), Joss Whedon (Buffy, Angel, Firefly), Tim Burton (pour Beetlejuice, Edward Scissorhands et Mars Attack), Paul Verhoeven (pour Robocop et Starship Troopers) et même, je suis près à le défendre, James Cameron (Terminator, Aliens, Dark Angel, Avatar).

De nouvelles pistes sur l’après-11 septembre

Je voulais parler du 11 septembre 2001 et je me lance dans un discours anti-impérialiste anti-américaniste primaire qui conclut en affirmant que James Cameron est un cinéaste subversif. Parmi le déluge d’articles consacrés à cet anniversaire, je doute que quelqu’un arrive à faire plus fort que moi.

Alors le 11 septembre 2001, oui, c’est bien un évènement, parce qu’il y a beaucoup de choses derrière. Beaucoup de choses y ont mené, et beaucoup de choses en ont découlé : on n’a pas fini d’en entendre parler. Un travail que j’aimerais vraiment réaliser sur le sujet, ce serait de reprendre chaque série télévisée de l’époque, et voir comment l’attentat a modifié leur ligne politique, quel genre de situations ont été scénarisées (je pense, par exemple, aux épisodes de séries justifiant la torture par exemple), quels nouveaux personnages sont apparus, et bien sûr, quelles séries ont disparu et quelles séries sont nées à ce moment-là.

Quelques articles liés au sujet : Opérations extérieures, Mission: Impossible, L’herbe du voisin bleu du futur est toujours plus pourpre.

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Billet initialement publié sous le titre “Le jour où les avions se sont arrêtés” sur Le dernier des blogs

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Joshua Schwimmer /PaternitéPas d'utilisation commerciale Brendan Loy/PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification US Army Korea – IMCOM /PaternitéPas de modification How I See Life/PaternitéPas d'utilisation commerciale morizaPaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Sister72

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L’oeuvre médiatique du 11 septembre http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/ http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/#comments Wed, 07 Sep 2011 11:05:23 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=78420 La question revient sans cesse. Comment nous débrouillons-nous avec les milliers d’images auxquelles nous sommes exposés en permanence ? La réponse est simple. L’image n’arrive pas seule, mais accompagnée d’une indication d’échelle qui – par sa taille, sa répétition ou d’autres facteurs de valorisation – situe son importance relative dans la hiérarchie de l’information. Cette indication d’échelle, sans laquelle il nous serait bien difficile de nous orienter dans le paysage médiatique, passe habituellement inaperçue. Elle est pourtant décisive : nous jugeons important ce qu’on nous dit qui est important.

Dès le 11 septembre 2001, les images de l’attentat new-yorkais ont été dotées de la valeur d’information maximale. Retransmises en direct, puis indéfiniment reprises, multidiffusées, commentées, republiées, elles ont été elles-mêmes l’instrument de la construction de leur signification, par un effet de saturation sans précédent de tous les canaux informationnels. Catastrophe bien réelle, 9/11 est aussi, indissociablement, une œuvre médiatique.

Un vieux fantasme

La figure de l’événement partagé en direct par la population à travers la médiation du petit écran est un vieux fantasme des médias, dont on trouve de nombreux exemples au cinéma. Dans Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), l’arrivée d’une soucoupe volante voit sa construction événementielle se réaliser en temps réel par la retransmission télévisée.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’apparente magie de cette conjonction suppose la mobilisation d’un dispositif complexe, dissimulé par l’illusion d’immédiateté – au minimum la mise en réseau du public et la disponibilité des moyens audiovisuels au moment adéquat. En dehors d’événements programmés, cette figure s’avère difficile à mettre en œuvre. L’évenement ne se laisse pas capturer si facilement : il faudra attendre l’assassinat de Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas, pour qu’elle rencontre sa première incarnation télévisée.

Celle-ci est bien différente de la fiction. Nulle image des coups de feu – que les caméras de télévision n’ont pas enregistrés – n’est alors diffusée. L’événement que les Américains partagent en direct n’est pas le meurtre, mais la gestion télévisuelle de son après-coup, entre images insignifiantes et commentaires hésitants, jusqu’à la manifestation visible de l’émotion du journaliste Walter Kronkite, qui ne peut empêcher sa voix de trembler – rupture du code qui témoigne de son caractère exceptionnel.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’association du direct et d’une large diffusion a favorisé le développement d’une véritable fonction sociale des médias de flux que sont la radio et de la télévision. On mésestime cette capacité du média à mettre en scène et à faire partager ce qui est désigné comme le lot commun. La rentrée des classes, les soldes, les embouteillages des départs en vacances ou l’arrivée de la neige font partie de ces événements qu’on appelle “marronniers”, et qui devraient plutôt être interprétés comme l’élévation au rang de rituel par la “messe” du 20h de ces régularités communautaires qui scandent la vie du plus grand nombre. Le rêve de la télévision est de faire vibrer tous ses spectateurs à l’unisson du même spectacle.

Communion hertzienne

Cette figure de la communion hertzienne n’avait pu s’accomplir dans l’épiphanie du direct que dans une poignée de situations soigneusement organisées : déclarations politiques, mariages royaux, rencontres sportives, sans oublier les premiers pas sur la Lune.

Construction événementielle en temps réel, le 11 septembre participe des rares occurrences qui surprennent le dispositif. Revoir les premières minutes de ce que personne ne sait encore être un attentat permet de comprendre la mise en place de ce mécanisme. Avant même son identification comme attaque terroriste ou son attribution à Ben Laden, la collision d’un avion avec le plus célèbre immeuble de Manhattan est déjà perçue comme un “désastre” et située à un degré élevé dans la hiérarchie de l’information – assez pour mobiliser ses formes de présentation les plus dramatiques. La suspension des programmes par le système des Breaking News, le bandeau de qualification et le commentaire live, qui partage la recherche d’informations en aménageant l’attente de leur confirmation, sont les codes qui ont pour fonction de mettre en scène la confrontation directe avec l’événement.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il faut un haut niveau de technicité et de professionalisme pour conférer une forme cohérente à cette improvisation en temps réel, qui donne à chaque téléspectateur l’impression de partager l’événement au moment même où il se produit, comme s’il était assis dans le fauteuil du présentateur. Tout ce qui va arriver ensuite – encastrement du deuxième avion, saut dans le vide des victimes, effondrement des tours – était bel et bien imprévu : le scénario rêvé d’un crescendo évenementiel devant les caméras va s’accomplir comme un cauchemar.

Autant qu’au piège de feu des tours jumelles, l’Occident a été pris au piège de sa machine médiatique. Impeccablement huilé, le dispositif qui attendait de longue date de croquer le fait divers s’est fait happer par le 11 septembre. Brèche béante dans le temps télévisuel, la Breaking News ne s’arrêtera plus, s’étirant sur plus de 24 heures, rediffusant sans trève, comme le but d’un match de foot, au ralenti, en gros plan, les scènes les plus spectaculaires de la catastrophe, enfonçant pour toujours dans notre imaginaire ces minutes insoutenables.

Autant que les morts, les blessés, les tours effondrées, le spectacle du 11 septembre a participé du traumatisme infligé aux Etats-Unis. Au moment où l’Occident s’apprête à déclencher une nouvelle fois le Replay de la catastrophe, il est utile de se souvenir que cette blessure n’a pas été infligée par un membre d’Al Quaida, mais par notre propre dispositif journalistique.


Article initialement publié sous le titre “Replay 9/11″ sur L’Atelier des icônes

Crédits photo Flickr CC : by Robert Couse-Baker

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Ben Laden dans les archives des services secrets http://owni.fr/2011/05/02/ben-laden-archives-services-secrets/ http://owni.fr/2011/05/02/ben-laden-archives-services-secrets/#comments Mon, 02 May 2011 16:46:38 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=60595 Selon la Maison Blanche, à 53 ans et après treize années de traque, Oussama Ben Laden a été tué dans une opération des services spéciaux américains, menée en territoire pakistanais. L’intervention héliportée s’est déroulée à 150 km au nord de la capitale Islamabad, dans la ville d’Abbottabad, où est installée une académie de l’armée pakistanaise. Oussama Ben Laden emporte dans la mort les secrets d’une cavale entamée après le premier mandat d’arrêt international émis par Interpol, le 16 mars 1998.

Activement recherché depuis les attentats du 11 septembre 2001, sa longévité s’explique par l’importance des réseaux qui lui étaient fidèles. Les archives des services secrets, auxquelles OWNI a eu accès, permettent de mesurer la portée de ces soutiens, et de mieux comprendre comment le chef d’Al Qaida a été perçu au fil du temps par les états-majors européens ou américains.

Des années de renseignements, pour quoi ?

Le 14 septembre 2001, trois jours après les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, les services secrets français de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) rédigeaient une notice biographique mettant en évidence la dimension internationale de son réseau. Voici le verbatim complet de cette note:

Elle synthétisait brièvement plusieurs années de surveillance menées pour l’essentiel par les services américains, égyptiens, jordaniens, israéliens, britanniques et français. Plus d’un an avant le 11 septembre, ceux-ci semblaient déjà disposer d’une large connaissance des relais et des soutiens d’Oussama Ben Laden. Une note de la DGSE du 24 juillet 2000 affirmait ainsi:

Les bases afghanes d’Oussama Bin Laden, si elles bénéficient de l’argent investi localement, sont également financées par les investissements réalisés par l’ex-Saoudien lors de son séjour au Soudan de 1994 à 1996. En effet, les entreprises qu’il a fondées dans ce pays lui ont permis d’acquérir son indépendance financière. Bénéficiant de l’appui de dirigeants soudanais, Oussama Bin Laden a fondé une holding industrielle au Soudan, probablement organisée autour de la société XXXXXXXXXX (…) Bin Laden est actionnaire majoritaire de ces sociétés, détenues également en partie par des investisseurs soudanais (…)

Les pays du Golfe jouent également un rôle important dans le réseau financier d’Oussama Bin Laden qui y regroupe et prélève les fonds finançant son organisation terroriste. Ces sommes sont ensuite transférées de cette zone vers le Pakistan, de banques à banques, parfois sur des comptes appartenant à des particuliers, ou d’entreprises à entreprises (…) Dubai, qui dispose de liaisons aériennes directes avec l’Afghanistan par la compagnie Ariana Airways, joue dans ce dispositif un rôle particulier. Zone importante de trafics, cet émirat est souvent cité comme point de passage ou centre logistique pour des lieutenants d’Oussama Bin Laden. Aussi son matériel de communication provient-il de ce pays. Mamdouh Mahmoud Salim, l’un des responsables financiers de Bin Laden, y aurait installé sa famille, avant son arrestation le 16 septembre 1998. Il aurait investi dans l’émirat voisin de Sharjah [NDLR: un des Emirats arabes unis].

Négociations avec les Talibans

À partir de l’année 2000, les implications politiques de ces divers soutiens ont conduit l’administration américaine de Georges W. Bush à privilégier des voies diplomatiques pour tenter d’obtenir l’arrestation d’Oussama Ben Laden. Évitant ainsi de fâcher leurs alliés du Golfe – l’Arabie Saoudite appartenait alors à la courte liste des pays qui reconnaissaient l’État des Talibans.

Des documents du département d’État américain – déclassifiés ceux-là – montrent comment les envoyés de l’administration républicaine ont préféré discuter avec les Talibans jusqu’au mois de juillet 2001, dans le but de se faire livrer Oussama Ben Laden. Alors même qu’un embargo des Nations-Unies frappait le régime:

Une synthèse du FBI accablante

Le FBI, limité dans ses investigations contre Oussama Ben Laden dans le courant de l’année 2000, devait reprendre ses travaux contre le chef d’Al Qaida juste après le 11 septembre 2001. Dans le cadre d’une opération de renseignement intitulée PENTTBOM. Le service de renseignement intérieur américain reconstituait les relations entre les réseaux d’Oussama Ben Laden et les 19 pirates de l’air à l’origine des attaques du 11 septembre 2001. De nombreux documents relatifs à cette enquête du FBI ont été rendus publics, mais souvent partiellement amputés. Ci-dessous une version exhaustive d’une synthèse datée du 5 novembre 2001:

Comme les documents des services français, cette note du FBI montre la portée des soutiens et des alliances internationales dont a profité Oussama Ben Laden pour développer son organisation – depuis la création formelle d’Al Qaida, lors d’une réunion du 11 août 1988. Des associations dans les monarchies du Golfe et en Afrique y sont également évoquées.

Jusqu’au dernier moment, il a semblé profiter de relais importants, expliquant ainsi la longévité de ses activités. Difficile en effet de penser que des membres des services secrets pakistanais de l’ISI n’étaient pas impliqués dans l’organisation de son refuge à 150 km d’Islamabad. Récemment, plusieurs notes dévoilées grâce à Wikileaks permettaient de confirmer la duplicité de l’ISI à l’égard des Occidentaux combattants Al Qaida. Tandis qu’une autre note provenant des dossiers de Guantanamo, révélée ces dernières semaines, toujours par Wikileaks, livrait le nom d’un courrier personnel de Ben Laden, Maulawi Abdal Khaliq Jan, cité dans un rapport de l’armée américaine au sujet d’un lieutenant d’Al Qaida, Abu al Libi, emprisonné à Guantanamo. Selon ce document, ce courrier avait conseillé à Abu al Libi de se déplacer vers la ville d’Abbottabad. Depuis hier, plusieurs officiels américains ont indiqué que la localisation de Ben Laden dans cette ville pakistanaise avait été rendue possible grâce à un renseignement obtenu à Guatanamo, au sujet d’un courrier d’Al Qaida.


Illustration CC flickr IceNineJon


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