OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Double violation du droit pour les musulmans de l’Algérie coloniale http://owni.fr/2011/03/21/double-violation-du-droit-pour-les-musulmans-de-lalgerie-coloniale/ http://owni.fr/2011/03/21/double-violation-du-droit-pour-les-musulmans-de-lalgerie-coloniale/#comments Mon, 21 Mar 2011 08:00:35 +0000 Gilles Devers http://owni.fr/?p=51454 De grands pays musulmans accèdent à la liberté et vont construire leur avenir. Déjà, on s’apprête à leur demander des comptes : quoi, ce n’est pas encore la démocratie absolue et parfaite ?!

Vingt ans après l’écroulement soviétique, Poutine gave ses réseaux et viole les droits fondamentaux au jour le jour ; les révolutions US des anciennes républiques soviétiques, dix ans plus tard, pataugent encore dans les approximations ; ailleurs, la France-Afrique post-coloniale donne encore le rythme. Les révolutions de la Tunisie, de Égypte, de la Libye, du Yémen, de Bahreïn ont le grand avantage d’être spontanées : aucun grand frère pour vouloir ensuite récupérer les dividendes.
Bon, mais ça sera très compliqué, car ce ne sont pas seulement les dernières années sanglantes des dictatures qu’il faut gérer, mais des décennies d’oubli du droit.

Voici à ce propos quelques repères sur ce qu’a été la liberté de religion en Algérie, du temps de la colonisation : 130 ans. Deux dates principales ont marqué cette période de l’histoire : 1830, avec l’administration française de l’Algérie et 1905 avec la non-application de la loi sur la séparation de l’État et des cultes

1830 : le double langage du droit

L’histoire contemporaine de l’islam et de la France commence en 1830, par l’annexion de l’Algérie. Avec la convention du 5 juillet 1830, conclue entre le Bey d’Alger et le général en chef des armées françaises, le pouvoir français s’impose, préfigurant le rattachement de l’Algérie à la France. Dès 1848, l’Algérie devient « territoire français », divisé en trois départements, sans être pour autant placée dans une égalité de droit avec la métropole. La France, qui avait fondé un empire colonial, s’affirme volontiers comme puissance musulmane, dans une société internationale encore marquée par l’empreinte de l’empire ottoman.

Les relations de la France et de l’islam sont évidemment plus anciennes. Il s’agit d’abord des croisades et des échanges entre Haroun al Rachid et Charlemagne, ou entre François 1er et Soliman le Magnifique. C’est aussi la présence durable des Musulmans au Moyen Âge, en Provence et en Languedoc notamment. La présence française en Afrique musulmane a été permanente depuis le 19e siècle : Saint Louis, alors capitale du Sénégal, disposait d’un représentant au sein de l’Assemblée nationale. Mais ce qui allait compter le plus dans ce domaine, a été le « fait algérien », c’est-à-dire l’irruption dans la vie politique, économique, culturelle et sociale d’un pays européen, de tout un peuple musulman avec son histoire, ses coutumes, ses règles de vie et sa religion.

Un peuple très majoritairement musulman, resté encore à un stade de développement de type traditionnel, devenait partie intégrante d’un pays de culture chrétienne. L’imbrication humaine, culturelle, politique ne cessera de se développer.

Dans cette région islamisée très tôt, le fait musulman est présent dès l’origine : la Convention du 5 juillet 1830 prévoyait que la France devait « ne porter aucune atteinte à la liberté des habitants de toutes les classes, à leur religion, leur propriété, leur commerce et leur industrie ». Or, dans le même temps, le droit métropolitain est venu organiser la société algérienne, en rupture avec le droit musulman. S’il est exact que le droit musulman souffrait d’archaïsme, l’esprit de la Révolution des Lumières n’a pas eu droit de cité sur l’autre rive de la Méditerranée : l’accès à la citoyenneté française a été refusé aux personnes de confession musulmane.

C’est la doctrine coloniale : l’Algérie est française, mais le musulman relève d’un statut personnel spécifique. Le colonialisme crée les bases du communautarisme. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 énonce : « si l’indigène musulman est français, néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane ». L’application du Concordat a été écartée sous prétexte qu’il n’existait pas d’organisations représentantes de l’islam. Aussi, l’État français a-t-il été dès le début omniprésent, y compris pour régler la pratique du culte, avec une préoccupation particulière pour le maintien de l’ordre public.

Il n’existait pas en terre algérienne de droit à la liberté de religion, et la pratique du culte, pour les musulmans, s’avérait souvent aléatoire. En 1848, a été créé un service de l’administration civile indigène, ayant pour mission le contrôle du culte musulman. L’État colonial qui régissait tout, n’allouait que des moyens très limités, et n’hésitait pas à réquisitionner les lieux de prières pour les affecter à des besoins jugés plus légitimes.

1905 : La non-application de la loi

Le schéma n’a pas été modifié par la loi de 1905, bien que l’article 43.2 invitait le gouvernement à déterminer les conditions d’application de ce texte à l’Algérie et aux colonies. C’est le décret du 27 septembre 1907 qui régla la question, pour reconnaître la loi inapplicable et organiser le statu quo, soit une religion sous contrôle de l’administration, avec de maigres financements.

La circulaire, signée par le préfet Michel le 16 février 1933, qui a institué un contrôle de l’administration sur le recrutement du personnel cultuel, a prévu des indemnités pour ce personnel qui devait prêcher dans les lieux de prière reconnus par l’État.
Ce n’est que beaucoup plus tard que le nouveau statut organique de l’Algérie, édicté par la loi du 20 septembre 1947, a rendu le culte musulman indépendant de l’État. Les projets réformateurs sont restés lettre morte jusqu’à ce que l’Assemblée algérienne crée en 1951 une commission du culte musulman, parvenant à établir le projet d’une Union générale des comités cultuels, financée par l’État. Mais le Conseil d’État a estimé en 1953 que la création par l’État de ce type de structure était contraire au principe de séparation des Églises et de l’Etat, et c’est le schéma ancien qui est resté en cours jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Dans le même temps, le maintien du statut personnel spécifique pour les musulmans faisait de la croyance religieuse une condition de la reconnaissance juridique, créant ainsi un communautarisme légal. L’accès à la citoyenneté répondait à une logique discriminatoire sur le plan religieux : les musulmans devaient renoncer au statut personnel, lié à leur foi, pour adopter celui du code civil. Ce n’est qu’à partir de 1947, que fut acceptée la citoyenneté dans le statut, c’est-à-dire le fait d’être français et musulman, mais en portant le titre de « français musulman ».

Un constat d’évidence s’impose donc : durant la période coloniale (1830-1962), les musulmans vivant sous l’autorité de l’État français ont connu un statut juridique caractérisé par une double violation du droit : le non-respect des engagements contenus dans la convention de 1830 et la non application de la loi de 1905.

> Article de Gilles Devers, initialement sur le blog Actualités du Droit sous le titre La religion dans l’Algérie coloniale

> Illustration Flickr CC Ophelia Noor et Tab59

]]>
http://owni.fr/2011/03/21/double-violation-du-droit-pour-les-musulmans-de-lalgerie-coloniale/feed/ 2
La révolution tunisienne, une seconde décolonisation http://owni.fr/2011/01/29/la-revolution-tunisienne-une-seconde-decolonisation/ http://owni.fr/2011/01/29/la-revolution-tunisienne-une-seconde-decolonisation/#comments Sat, 29 Jan 2011 13:00:24 +0000 Guillaume Mazeau http://owni.fr/?p=44321 Samedi 22 janvier, 300 habitants de Menzel Bouzaiane ont pris la route de Tunis. Dans chaque village traversé, des volontaires ont grossi les rangs de ce convoi hétéroclite, au son des motos, des camions et des camionnettes. En chemin, les modestes marcheurs ont été rejoints par des syndicalistes, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme. Le soir, à Regueb, ils étaient plus d’un millier.
Dimanche, c’est une partie de la Tunisie rurale qui convergeait vers Tunis : la veille, d’autres manifestants étaient partis de Kasserine et de Gafsa avec la même intention de bouter hors de la Primature des ministres majoritairement issus de l’ancien régime.
Après la marche, le sit-in. Bravant le couvre-feu, ils campent maintenant pacifiquement devant le siège du gouvernement de transition, pour « faire tomber les derniers restes de la dictature » .

Tout semble aller si vite. La Tunisie s’apprête-t-elle à connaître sa révolution d’octobre, moins de deux semaines après celle qui a vu le système Ben Ali s’effondrer avec une belle mais suspecte rapidité ?

La fête de la fédération, le 14 juillet 1790 au Champ de Mars

Révolutions : montée des peuples vers les capitales

La mécanique centripète de la Révolution tunisienne n’est pas une réelle nouveauté. Issus des provinces rurales du centre-ouest, les marcheurs tunisiens écrivent une nouvelle page de l’histoire longue des révolutions du monde moderne, effectuées des périphéries vers le centre des Etats. Ainsi, contrairement à ce que l’on dit souvent, la Révolution française n’a pas commencé à Paris le 14 juillet 1789 avec la prise de la Bastille, mais dans plusieurs villes de province, secouées par des émeutes plusieurs mois auparavant. Le 14 juillet 1790, les milliers de jeunes gens qui affluent vers Paris pour fraterniser et devenir des héros nationaux sont bel et bien issus des fédérations régionales, créées par les patriotes pour constituer une chaîne de défense provinciale et protéger la Révolution.

Le nom de « caravane de la libération » ne trompe pas sur l’autre nature de ce qui se passe. Les Tunisiens comparent eux-mêmes leur Révolution avec les plus belles journées de l’indépendance de 1956.

Aux Etats-Unis (de 1775 à 1783), à Genève (1782), aux Provinces-Unies (de 1783 à 1787) comme dans les Pays-Bas autrichiens (1789), les révolutions du 18e siècle furent souvent des guerres d’indépendance, dirigées contre des empires et des puissances coloniales. Pendant la Révolution française, les attaques contre la monarchie furent également inspirées par le rejet du parti de l’étranger incarné par Marie-Antoinette, mais aussi par la fuite du roi en juin 1791, ressentie comme une trahison et une collusion avec les monarchies ennemies.

La Révolution tunisienne ne serait-elle donc que l’héritière des Révolutions qui marquèrent la fin du 18e siècle ? Serait-elle le prélude à un cycle de Révolutions méditerranéennes, deux cents ans après les Révolutions atlantiques ?
Ce n’est pas si simple. Le contexte est différent et affirmer, comme Jean Tulard, que 2011 serait « l’an 1789 de la Révolution tunisienne » porte des mauvais relents de néocolonialisme.

Cette révolution est tunisienne

Cette Révolution est tunisienne et pas française, surtout pas française. En 1956, plus que les Tunisiens, c’est l’Etat qui s’est libéré de la métropole. La décolonisation restait incomplète : la population, elle, continuait à faire les frais des cynismes de la Françafrique, une colonisation qui ne disait plus son nom.

Pendant cinquante ans, tous les gouvernements français ont couvert les dictatures de Bourguiba et de Ben Ali. C’est pourquoi la polémique provoquée par la cécité ou la maladresse diplomatique de la France a de quoi surprendre par sa naïveté.


Quand Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, propose le « savoir-faire » des forces de sécurité françaises aux autorités tunisiennes, quand Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, refuse de reconnaître que le régime de Ben Ali est une dictature, ils s’inscrivent parfaitement dans le long terme de la politique extérieure nationale : depuis 1956, la France ne cherche pas à être l’amie du peuple, mais de l’Etat tunisien, à n’importe quel prix.

Voilà pourquoi la Révolution de 2011 s’apparente à une seconde décolonisation. Vécue comme une guerre de libération, une guerre d’indépendance du peuple tunisien, la Révolution tunisienne est à la fois et inévitablement dirigée contre son propre Etat et contre la France, dont l’ombre a continué de planer au-dessus des évènements: une rumeur selon laquelle les troupes françaises étaient sur le point de débarquer à Bizerte n’a-t-elle pas couru pendant quelques jours? (Le Monde, 25 janvier 2011).

Voilà pourquoi en refusant de reconnaître le gouvernement issu du benalisme, le peuple tunisien peut, à condition de ne pas tomber dans l’embuscade américaine, définitivement sortir de la période postcoloniale.


Billet publié initialement sur
le blog Lumières du Siècle
Crédits images:
Guebara Graphics [CC-by-nc-sa] via Flickr ; La fête de la Fédération, 14 juillet 1790 au Champ de Mars, Paris par Charles Thévenin, Musée Carnavalet [Domaine public] via Wikimedia Commons ; Graff par the Abode of Chaos [Certains droits réservés]

]]>
http://owni.fr/2011/01/29/la-revolution-tunisienne-une-seconde-decolonisation/feed/ 5
Resident Evil 5: le complexe du Blanc au Mozombique http://owni.fr/2010/08/16/resident-evil-5-le-complexe-du-blanc-au-mozombique/ http://owni.fr/2010/08/16/resident-evil-5-le-complexe-du-blanc-au-mozombique/#comments Mon, 16 Aug 2010 15:34:00 +0000 Game A http://owni.fr/?p=24890

Resident Evil 5 a provoqué dès son premier trailer une vive polémique. Jusqu’à sa sortie, journalistes et activistes l’ont copieusement accusé de véhiculer « de manière si flagrante de vieux clichés sur le périlleux “Continent Noir” et la perversité primitive de ses habitants qu’on le croirait écrit dans les années 20 » (Dan Whitehead, Eurogamer, EN)

La controverse est maintenant éteinte, en particulier depuis la décision du British Board of Film Classification qui statuait en mars 2009 qu’il n’y avait rien de raciste à ce qu’un Africain mort-vivant tue une jeune Blanche en Afrique (la scène qui a focalisé les critiques). Charbonnier est maître chez soi.

Pour autant, le jeu lavé de ces vilains soupçons, on n’a jamais dit à quel point le choix de Capcom de placer l’action d’un Resident Evil en Afrique était remarquable et complètement approprié.

Le zombie (à proprement parler le diphoko en Afrikaans, qui s’en rapproche beaucoup) fait en effet partie du quotidien de nombreux Africains, en particulier en Afrique du Sud : comme le précisent Jean et John Comaroff dans Alien Nation : Zombies, immigrants and millennial capitalism (1999),

Leur existence, loin d’être le sujet de racontars venus de forêts lointaines ou de fables fantastiques provenant de la brousse, est largement tenue pour évidente. En fait, il n’y a pas longtemps encore de populaires journaux locaux comportaient de gros titres tels que “des zombies revenus d’entre les morts”, illustrant leurs récits, comme tout autre article, de photographies hyper réalistes. De manière similaire, des avocats de la défense devant les tribunaux provinciaux ont cherché l’acquittement de leurs clients accusés d’assassinat, expliquant leurs actes meurtriers par la zombification de leurs parents […]

Dans Zombies et frontières à l’ère néolibérale, les Comaroff se rappellent que « lors d’un cours d’histoire donné à l’université de la province du Nord-Ouest, un étudiant est soudain intervenu dans la discussion : “Est-ce que les Américains croient au diphoko et aux remèdes magiques ? Est-ce que ça se passe comme ici ? Est-ce que les zombies posent problème en Amérique ? »

En Afrique du Sud, le zombie est donc une réalité avec laquelle il faut vivre, ce qui n’est pas de tout repos. Pas qu’ils se nourrissent de cerveaux comme dans nos fictions, mais surtout qu’ils continuent de voter [EN] et de travailler ! D’après la Commission d’enquête sur les violences liées à la sorcellerie et aux meurtres rituels (citée par les Comaroff dans Alien Nation), le zombie

est une personne que l’on croit morte et ressuscitée par le pouvoir d’un sorcier [et] qui travaille pour ceux qui l’ont transformé en zombie. Pour l’empêcher de communiquer avec d’autres personnes, la partie antérieure de sa langue est coupée afin qu’il ne parle pas. Il se dit qu’il ne travaille que de nuit [et] et qu’il peut abandonner son village pour aller travailler en ville, souvent loin de chez lui. Chaque fois qu’il rencontre des personnes qu’il connait, il disparaît.

On voit à quel point les méfaits structurels de la main d’œuvre zombie sont proches de ceux de la main d’œuvre immigrée illégale. « Comme les zombies, ils sont des citoyens de cauchemar, leur déracinement menace de siphonner les restes de prospérité, qui diminuent vite, des populations autochtones. Fait intéressant, comme les zombies, ils sont caractérisés par leur élocution : le terme courant pour désigner des immigrants est makwerekwere, un mot sesotho impliquant une compétence limitée dans la langue vernaculaire. »

Autre point commun, zombies et clandestins peuplent les mêmes bidonvilles.

En fait, d’après les Comaroff, l’un comme l’autre sont les conséquences d’une application brutale du capitalisme néo-libéral. Dans cette perspective, le zombie est la « forme que prennent [certains éléments constitutifs de la culture néo-libérale] dans l’imagination de certains groupes localisés notamment dans la région frontalière du nord de l’Afrique du Sud » (Jérôme David, préface de Zombies et frontières…), exprimant à la fois l’aliénation ressentie dans la nouvelle organisation du travail, les écarts de richesse et le chômage qu’elle provoque.

Enfin, le phénomène n’est pas propre à l’Afrique du Sud : les auteurs ont repéré « au moins deux situations historiques parallèles en Afrique, à savoir au Mozambique et au Cameroun où, dans le courant du XX° siècle, des zombies sont également apparus », c’est-à-dire « à peu près au même moment et en réponse à des conditions historiques largement identiques. »

Si le zombie étudié par les Comaroff, sorte de réponse traditionnelle à un stimulus nouveau, n’est évidemment pas celui de Resident Evil 5, il n’empêche que le deuxième profite indéniablement de l’historicité du premier : les zombies ont bien davantage leur place en Afrique noireque dans une pseudo Espagne comme dans le 4, n’en déplaisent aux Occidentaux partis en lutte contre le prétendu message raciste du jeu.

Du temps de mes parents, ils ont trompé notre peuple et volé notre terre pour en faire un champ de pétrole.
Extrait d’un journal intime abandonné dans un village du marais.

Si Resident Evil 5 porte bien un message, il est plutôt à chercher dans sa critique des rapports Nord-Sud. Le jeu met bien en scène des Occidentaux majoritairement blancs tuant des Africains zombifiés (par d’autres Occidentaux, en passant) mais, plutôt que de perpétuer une « collection de clichés racistes classiques » (N’Gai Croal, EN), il illustre seulement, de manière dramatisée, l’interventionnisme des pays riches qui n’a jamais cessé malgré les vagues de décolonisations et les déclarations d’indépendance.

Ce Secteur Autonome de Kikuju, qu’on ne trouve sur aucune carte, semble calqué sur l’un de ces vrais pays du Sud à la production exclusivement organisée pour l’exportation et dont les richesses sont largement captées par les pays du Nord : de l’intervention militaire du BSAA (ok, ils ont un bureau africain, la belle affaire) à l’extraction de minerais précieux ou d’hydrocarbures aux mains de sociétés privées, tout prouve l’emprise occidentale sur le territoire et les richesses de ce pays africain aussi vrai que nature.
Ne manquait plus qu’une scène dans une plantation de coton, de palmiers à huile ou de thé pour parfaire le tableau de ces “cultures de rente” qui n’enrichissent que leurs acheteurs et quelques corrompus.

De ce point de vue, l’état de la ville de Kijuju n’est pas seulement due à l’épidémie propagée par Tricell Pharmaceutical Company, pas plus qu’au coup d’état que le territoire aurait connu peu avant, elle tient d’abord à une longue période d’abandon – pendant laquelle les industries minières et pétrolières ont manifestement continué à se développer. Il paraît évident qu’il s’agit là d’une de ces « nouvelles enclaves coloniales d’extraction à faible coût dont le fonctionnement ne nécessitait le recours à aucun appareil d’Etat, à aucune mesure de sécurité territoriale ni à aucune mission civilisatrice » (“Les Frontières des nations” in Zombies, Frontières…).

Dans ce type d’organisation de la production, les autochtones bénéficient très peu de la richesse produite sur leur territoire, ce que dépeint bien, dans son blog fictif [EN], un personnage du jeu, mineur de profession : du travail pour les mieux formés, souvent étrangers (« il y a beaucoup de travailleurs étrangers ici », « Kijuju est le seul endroit qui offre du travail pour un salaire correct »), du chômage et beaucoup de ressentiment pour les autres (Adam rapporte une altercation dans un bar où un homme passablement saoul « répétait des choses comme “Les étrangers devraient être virés de notre pays !” et “Nous récupérerons notre ville !” »).

Le jeu n’édulcore donc rien de la situation critique dans laquelle se trouvent certains anciennes colonies. Il l’impose comme un état de fait (une société au dénuement extrême pour la majorité, la responsabilité des pays riches et/ou des entreprises transnationales), sans jamais le cautionner. C’est sans doute cette domination injustifiable que les critiques n’ont pas supportée, l’interprétant (mal) comme un discours raciste.

Étrangement, la plupart des critiques ont ramené le problème du jeu à la colonisation et ses suites : les années 20 pour Whitehead, la décolonisation pour N’Gai Croal. Réagissant au premier trailer [vidéo], ce dernier s’interrogeait :

Ce sont tous des hommes, des femmes, des enfants dangereux. Ils doivent tous être tués. Étant donné le passé, étant donné que l’histoire post-coloniale n’est pas si loin, on se demande pourquoi, pourquoi présenter sans discernement de telles images ? Ce n’est pas aussi simple que de dire « ils ont tiré sur des zombies espagnols dans Resident Evil 4, et maintenant qu’ils s’agit de zombies noirs, les gens s’énervent. » Les images ne sont pas les mêmes. Elles n’évoquent pas la même histoire, elles ne portent pas le même poids.

Dans un premier temps, on ne peut que suivre N’Gai (sauf pour ces enfants que l’on devrait tuer, introuvables dans la vidéo). Il s’agit toutefois de bien s’entendre sur l’histoire qu’on invoque. Outre que les meurtres d’Africains en toute impunité, la méfiance et la peur qu’ils peuvent provoquer font davantage référence à la traite qu’à la colonisation (qui, historiquement – en gros, lui succède), c’est justement l’histoire (dans ce cas l’univers de croyance traditionnel) qui renforce le bien-fondé de ces zombies. Bref, considérant la justesse de leur choix géographique et l’honnêteté géopolitique de leur jeu, on comprend que les développeurs aient été désarçonnés par l’ampleur de la protestation : certaines images sont d’autant plus lourdes qu’elles charrient aussi, dans leur ombre, un poids considérable de préjugés.

“Zombies, Frontières à l’ère néolibérale / Le cas de l’Afrique du Sud post-apartheid” est sorti aux éditions Les Prairies ordinaires (17€, 288 pages). Je pourrais difficilement vous conseiller sa lecture dans la mesure où, à propos des zombies, il s’agit de la traduction d’un article sur l’article “Alien Nation: Zombies, immigrants and millennial capitalism”. Relativement court, il se concentre essentiellement sur l’épistémologie de leur étude, qui paraitra absconse à moins d’avoir quelques restes dans la matière – je l’ai pas trouvé intéressant pour autant. Parmi les autres thèmes du recueil, l’un, « l’économie occulte » a connu une récente illustration sur Libération, Afrique: le business des « enfants-sorciers ».
“Alien Nation: Zombies, immigrants and millennial capitalism” a connu une traduction dans le bulletin du CODESRIA, numéros 3-4, 1999, pp.19-32. Pas réussi à mettre la main dessus, du coup les passages utilisés ici sont des traductions personnelles. On peut trouver un pdf de l’article original ici [EN] et tous les textes originaux regroupés là, s’il vous venait l’envie de valider les choix de traductions.
Resident Evil 5 a déjà joliment inspiré Game B. Non seulement sur les accusations de racisme, mais aussi sur les deux formidables gamestrips de mars 2009 et de juin 2009. Je vous conseille évidemment les trois.



Billet initialement publié sur La faute à la manette

]]>
http://owni.fr/2010/08/16/resident-evil-5-le-complexe-du-blanc-au-mozombique/feed/ 4
Le temps béni des colonies [3'30] http://owni.fr/2009/11/21/le-temps-beni-des-colonies-330/ http://owni.fr/2009/11/21/le-temps-beni-des-colonies-330/#comments Sat, 21 Nov 2009 16:30:07 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=5584 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un aperçu, en trois minutes et trente secondes, de la constitution et de la déliquescence des empires coloniaux britannique, français, espagnol et portugais. Joli coup de force que de faire tenir deux siècles d’histoire mondiale en un peu plus de trois minutes et en quatre cercles de couleur.

Enjoy

]]>
http://owni.fr/2009/11/21/le-temps-beni-des-colonies-330/feed/ 2