OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Apocalypse News http://owni.fr/2010/02/12/apocalypse-news/ http://owni.fr/2010/02/12/apocalypse-news/#comments Fri, 12 Feb 2010 18:00:38 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=8064

Mardi dernier c’était Thema sur Arte. « Main basse sur l’info » que ça s’appelait.

Au programme : deux docs bidons et un débat à la gomme sur internet où, comme d’habitude, pas un seul spécialiste du sujet ne fut convié.

Je ne traiterai pas ici du premier reportage (déja culte) sur les complotistes dont le titre « Les effroyables imposteurs » explicitait les intentions du réalisateur. Je n’en ai vu que la 2eme moitié : Cet exercice de style à la finesse du bulldozer consistant à reproduire à l’identique mais en politiquement peinard, les travers d’approximation et d’enfermement dénoncés, réussirait l’exploit de convertir aux théories du complot Jacques Attali et Saint-Thomas.[1]

Non, j’attendais le programme sérieux de la soirée avec des journalistes expérimentés et intransigeants, formés à l’école de la rigueur, imperméables aux pressions et aux législatures successives.

« 8 journalistes en colère » présente en 24 minutes une sélection de notables du journalisme se livrant à l’analyse des dérives de leur métier pour tenter d’expliquer la perte d’audience et de crédibilité dont ils sont les victimes.

LA FORME :

Ambiance musicale dynamique et un poil stressante (c’est l’avenir de la presse qui est en jeu !), photographie ténébreuse et filtrée, plans fixes HD sur les représentants de la presse : Le gentil spectateur est mis en condition. Ici mon gars, c’est pas du .flv 420X340 à 14 images / seconde filmé au Nokia 3G par on ne sait pas qui.

- La vache : c’est la nouvelle saison des “Experts ” ?

– Nan, c’est un ami de la femme du président qui va dénoncer les abus de la désinformation.

FAITES ENTRER LES VICTIMES :
Le commentaire emphatique présente « la star de l’information [...] aux 5 Millions de spectateurs ». David Pujadas ouvre le bal des maudits et nous livre face caméra son édito d’intro sur « la crise des médias » poignant comme une campagne d’Amnesty international.

DAVID P., démonstrateur en information battu. (Paris)
« – [...] Je crois que le problème n’est pas à côté de nous mais en nous. [...] le journaliste n’est soumis à personne sauf à lui-même [...] il souffre d’abord de conformisme et de mimétisme [...]. On a le sentiment d’entendre un bruit de fond médiatique avec non seulement les mêmes sujets au même moment mais avec les mêmes mots et surtout, surtout, le même regard, la même sensibilité. [...] C’est ce que l’on pourrait nommer le journalisme des bons sentiments [...] émouvoir, toucher le cœur mettre en scène la complainte ça fait de l’audience mais il y a plus que ça. Le journalisme des bons sentiments c’est aussi une bien-pensance, c’est l’idée que par définition le faible a toujours raison contre le fort [...] En fait c’est une dérive mal digérée de la défense de la veuve et et de l’orphelin : cette posture qui valorise le journaliste et qui a l’apparence du courage et de la révolte.

Plan serré pour mieux sentir l’émotion du mec qui n’a pas encore fait 327 heures de direct sur les cadavres encore chauds d’Haïti.

DAVID PUJADAS
“- Alors que faire ? Sans doute revenir aux fondamentaux du journalisme, s’écouter soi même et laisser parler sa propre curiosité, ne pas se glisser dans un moule.

Soyez gentils les gens, aidez cet homme à être moins intolérant avec lui-même. Regardez son JT.

VOIX OFF MODE CHAUSSE-PIED
« – Ne pas se glisser dans un moule? Facile à dire. Mais comment faire, quand on doit comme David Pujadas fabriquer un journal tous les jours dans l’urgence face à la concurrence acharnée des autres médias ?

Le saviez-vous ?
La prolifération de l’information sur le réseau est mauvaise pour le citoyen.

La prolifération de télévisions pour préparer son information est bonne pour le journaliste.

Et l’animateur de déplorer un “vertige” tout en culpabilisant son absence de “hauteur” dans l’histoire des défenestrations de France Telecom. Il en a trop fait, ça se trouve le taux de suicide était tout à fait normal. Il aurait du vérifier.

“- Peut-être que l’on s’est laissés rouler par une énorme vague, celle de ce bruit de fond médiatique ?

Bah, dis donc David t’en as des malheurs. Ils sont méchants ces salariés sur-stressés et traités comme du bétail qui se suicident pas assez, rien que pour pourrir ta crédibilité.

VOIX OFF MODE COURBETTE
- Autre journalisme, autre trajectoire celle de Philippe Val. Ex directeur de Charlie Hebdo, patron de France Inter. En publiant les caricatures de Mahomet dans le journal satirique, il a gagné le droit de se méfier de tous les conformismes.

PHILIPPE VAL
” - Le pire ennemi du journalisme c’est sa conviction d’être au service du bien et de la pureté. Le journalisme n’est pas une religion
[c'est tout ? je pensais que tu serais plus solennel]
…La tentation est grande de faire primer la thèse sur le fait. “
[spéciale dédicace au réalisateur du doc précédent]
“… Le discours démagogique des uns marginalise le travail sérieux des autres. Ce n’est pas parce qu’il exprime son opinion qu’un journaliste est libre et indépendant…
[On est pas un ancien de Charlie-Hebdo pour rien : gros LOL garanti !]


Pour ce patron de radio, le journalisme n’est pas :
a / une religion.
b / une secte.
c / une représentation exacerbée de la lutte des classes avec sa baronnie et son sous-prolétariat.

Respiration visuelle :
On retrouve un Val proche et impliqué en salle de rédac’. Si, si ça se voit : Il fait oui-oui et non-non de la tête et il y a un téléphone pas loin.

VOIX OFF MODE PREMACHAGE DE L’IDÉE QUI VIENT
“- Illustration avec cette attitude très répandue qui consiste à faire passer dans bien des rédactions le point de vue avant les faits.

Il a du sentir qu’on parlait de lui : Voilà Jean-Pierre Elkabbach.

- Yo.


VOIX OFF
MODE TAPIS ROUGE

« ….ce grand professionnel est aussi depuis plus de quarante ans l’un des journalistes les plus controversés de l’hexagone. [...] Il n’est pas du genre à se taire »

Elkabbach termine, comme les autres, son décompte précédant le laïus (Ça et le maquillage filmé, autre truc du montage, ça impressionne les gueux) :

JEAN-PIERRE ELKABBACH
« - Je me garderai bien de jouer les imprécateurs, les procureurs ou les donneurs de leçon. [...] Quand je m’interroge sur les raisons de la désaffection des lecteurs, de l’érosion actuelle de la vente et des audiences, de la crédibilité qui fluctue de la presse et bien j’ai envie de dire : Assez ! Assez de considérer les affaires du monde comme une bataille entre le bien et le mal. Assez de nous copier, de nous répéter les uns et les autres, assez d’agir en meute.”

Fier et digne, l’ancien patron de France Télévision à l’origine du concept d’animateur-producteur sur fonds publics, qui nous avait annoncé la mort de Pascal Sevran six mois avant son décès, monte en intensité, des trémolos dans la voix :

JEAN-PIERRE ELKABBACH
- Assez de réclamer plus indépendance et d’aller courir après les subventions de l’état. Je crois que c’est la rigueur, la curiosité la qualité qui assurent l’indépendance de la presse. Assez. Assez de nous complaire dans la peopolisation, je n’en peux plus, dans l’émotion, dans l’irrationnel et le voyeurisme. Et puis assez d’encenser un jour, de vilipender le lendemain et de porter aux nus, les mêmes, les mêmes, le surlendemain.
[faites comme lui, flattez toujours les mêmes.]
Assez de faire croire que le citoyen journaliste va se substituer un jouer au journaliste citoyen. ”

* * *
[communiqué de la direction]
Ce documentaire vient de déraper plus tôt que prévu dans sa 2eme partie,
nom de code :
A défaut d’y comprendre quelque chose, pétons la gueule au net.
* * *


JEAN-PIERRE ELKABBACH

– Certes, la révolution d’internet favorise, accélère et transforme chaque internaute en créateur d’événements…
[note bien pour ton lexique d'avaleur d'actu : L'internaute crée de l'évènement, le journaliste fait de l'info.]
…Mais toutes les expériences citoyennes ont besoin de vrais journalistes pour sélectionner, vérifier et écrire. Alors chacun à sa place.
[... et personne à la sienne]

QCM : Que désigne par ce geste cet éditorialiste multi-support ?
a / le crédit qui lui reste auprès des politiques ?
b / le crédit qui lui reste dans l’opinion ?
c / le crédit qui lui reste dans sa propre rédaction ?

Résumons la position d’Elkabbach sur le rapport net / info :
Parce qu’on a pas d’équipe sur place, reprendre au JT une émeute filmée chez lui par un iranien ou un chinois qu’il balance sur le net au risque de sa vie en déjouant la censure : C’est un formidable outil.

Qu’une équipe de télé ayant filmée un flag de racisme pépère d’un ministre soit contrainte de diffuser sur internet la séquence en question parce que sa propre direction l’autocensure : C’est un danger pour l’information.

CQFD : C’est en Chine et en Iran qu’Internet c’est bien.
(ça tombe tien avec Loppsi 2, on y va direct.)

Illustration visuelle :
Elkabbach en plein close combat radiophonique, sans protection et à moins de dix mètres d’un socialiste enragé et sans muselière.[2]

VOIX OFF MODE FESTIVAL DE CANNES
“- Pujadas, Val, Elkabbach.. une sacrée brochette de professionnel rassemblés ici pour dire à peu près la même chose : C’est en nous journalistes que réside la meilleure réponse à la crise des médias.”

En décodé, version rente : Nous sommes le problème mais comme nous percevons le gros salaire, nous sommes également la solution.

A ce stade, un doute m’assaille. N’assisterais-je pas à une énorme parodie de documentaire à l’anglaise ? Non, non c’est bien du premier degré à la française : La tragi-comédie apocalyptique des suffisants qui expliqueront jusqu’au bout pourquoi eux ont tout compris et les autres rien du tout.

VOIX OFF MODE : TIENS JE VAIS QUAND MÊME POSER UNE QUESTION
«- …Sur le web chacun crée son propre média et se croit journaliste. Alors question à quoi servent encore les journalistes si l’on sait tout sur tout en temps réel ?

AXEL GANZ Patron allemand de Prisma Press :
« – Notre société vit une explosion de l’info sans filtrage [...] c’est pour cela que l’ère internet est vraiment dangereuse. Pire encore, l’information se diffuse de manière totalement anarchique…
[Cette information pas payée qui s'en va partout, ça lui brise les rouleaux au big boss de l'info.]
…et je pense qu’à long terme cela provoquera sur la jeunesse un scepticisme sur les valeurs de notre société
[Autre pronostic du prophétique coupé au montage : A moyen terme, le format MP3 risque de causer la chute des ventes de 78 tours.]
” – Je crois donc qu’il est urgent de tirer la sonnette d’alarme, il faut que les médias traditionnels échappent à cette banalisation de l’information…
[Note interne : CNN a été crée en 1980. Internet grand public s'est développé 20 ans après]
…sinon ils vont y mourir.”

Axel Ganz a tout compris, il a free dans le dos.

Pre-supposant que la presse et information vont de pair, pas à un moment n’est esquissée l’hypothèse que l’information sur internet est, peut être, parfois, sait-on jamais, de qualité. Ah non pas de ça ici !

Mais qui vois-je ? Arlette Chabot, chaleureuse patronne de l’information à France 2 :

ARLETTE CHABOT
- Méfiez vous des adeptes des théories du complot. La vérité serait sur la toile tandis que les médias traditionnels soumis à des pressions vous cacheraient la vérité ? Alors c’est vrai, grâce à Internet aucune information ne pourra jamais plus être dissimulée ou enterrée mais, en revanche, je vous demande d’être prudent parce qu’un jour vous apprendrez que vous avez été manipulés. La traçabilité des images sur internet, origine, auteur, diffuseur, n’est pas garantie. Ayez en tête que le buzz peut être organisé par des sociétés…”

Tiens prends ça canaille d’internaute[3] au cas où t’aurais pas encore compris avec le film d’avant que ton réseau incontrôlé était le repère de tous les crétins illuminés[5] prêts à aux amalgames les plus grossiers pour démontrer ce qu’ils ont préalablement décidés. Pas comme avec les journalistes en colère.

– Des connards y en a toujours eu mais maintenant avec leur réseau,
ils ne nous regardent plus.

Et l’incorruptible journaliste d’accuser cette saloperie de web qui a poussé, un flingue sur la tempe, sa rédaction à diffuser l’année dernière de fausses images d’un bombardement à Gaza.

A propos d’internet….Interlude visuel :
Succession brutales d’images animées représentant des captures d’écran et des images du 11 septembre symbolisant le web. Le tout grossièrement filmé et monté à vive allure, en totale rupture formelle avec le reste du documentaire constitués de plans stables et d’éclairages soignées.

- Tu vois mon cono, là y a des tours qui tombent. Ça veut dire qu’on est sur internet.
- Ah d’accord… Mais pourquoi c’est filmé sur un écran de télé alors ?
- Ta gueule c’est de l’info.

La voix off, jusque là un peu réservée, se lâche enfin :

VOIX OFF MODE MENACE FANTÔME
«- Sur internet, les pires rumeurs prolifèrent comme de mauvaises herbes [...] Internet est une zone grise pour l’information »
[Non ça s’appelle un réseau ouvert et participatif. De là à tout suspecter c'est un peu comme si, au titre que mon voisin me casse les oreilles avec ses CD de Lara Fabian, j'allais demander à la police de dynamiter le quartier pour prévenir le risque de contagion.]

Edwy Plenel ancien du monde parti à Médiapart (journal en ligne)apporte un peu de modération au forum de la pensée unique.

- Bon mon petit Edwy, faut la jouer fine.Toute la blogosphère te regarde. Avec une émission pareille y a de quoi se faire déchirer sur internet pour 3 siècles.

EDWY PLENEL
« Quand la démocratie est jeune, elle est toujours excessive… comme toute nouveauté. [...] Nous [les journalistes] étions indispensables en terme de relais des opinions : C’est fini [...] Je crois que c’est une très bonne nouvelle car cela nous remet à notre place [...] L’opinion, le jugement, le point de vue, ce n’est pas notre monopole, ça appartient à tout le monde. Le travail sur l’information, l ‘investigation, l’enquête sur le terrain c’est notre job. Concentrons nous là dessus [...] et le reste est ouvert à la discussion »

- cool, j’ai assuré !

Le documentaire entre dans sa troisième partie synthétisée à merveille par la première phrase de Franz-Olivier Giesbert« une grande figure du journalisme français ». Phrase dont j’ai viré le gras pour en faire ressortir l’idée force :

FOG
« – Le problème avec le choc internet c’est que [...] les journaux perdent de l’argent »

Et oui, fallait y penser, le journalisme va mal parce qu’Internet pompe sa pub !

Dans le genre, comment prendre un problème à l’envers, le raisonnement de FOG est un modèle : Comme le net pique leurs lecteurs, les journaux ne vendent plus et donc ils deviennent dépendants d’autorités économiques ou de l’état. Logique.

1er rectificatif : Les annonceurs fuient les journaux parce que ces derniers ne vendent plus assez. De là à dire que la publicité va exclusivement se reporter sur internet, c’est une affirmation un poil précipitée. Mais enfin bon, au cas où, on envisage quand même une taxe Google. (Ou, comment taxer les innovations étrangères qu’on a pas eu l’ingéniosité de financer localement histoire de financer ceux qui perdent du pognon.)

2e rectificatif : C’est parce que les lecteurs ont le sentiment que les journaux, étant donné leur contenu, ne sont plus indépendants qu’ils se reportent de plus en plus sur le net et les journaux gratuits.

Encore un peu, et je vais me demander si ce documentaire n’est pas complotiste….

Dernier intervenant : Eric Fottorino, boss du Monde « un journal qui souffre financièrement mais qui reste la référence », livre sa profession de foi :

LA PROFESSION DE FOI D’ÉRIC FOTORRINO
« – Il arrive aux géants industriels de contrôler de grands médias…
[scoop]
…l’indépendance de la presse doit être économique pour être éditoriale…
[re-scoop]
…c’est la seule condition possible pour n’être ni de droite, ni de gauche…
[Le fait qu'il y ait une presse orientée politiquement n'est pas un problème, le problème c'est qu'elle le soit systématiquement du côté du pouvoir en place.]
…pour être le plus incisif possible dès lors que le travail éditorial est fiable, effectué avec honnêteté et bonne foi, avec combattivité aussi, face aux professionnels du lobbying et de la désinformation. La presse écrite doit être un contrepouvoir.”

VOIX OFF MODE LAPIN CRÉTIN
” – C’est bien la prétention de tous les médias, d’être un contre pouvoir.
[euh… là aussi l'affirmation est excessive.]
…Mais plus facile à dire qu’à faire, sauf si on s’en donne les moyens, c’est ce que fait “Le Monde” depuis longtemps, non sans mal.”

Et Fottorino de se vanter que jamais aucun patron ne l’a appelé pour se plaindre d’un article.

- Bon les boys : vous écrivez ce que vous voulez.
Une seule consigne : ne gêner personne.

Il confesse avoir reçu un petit coup de fil du monarque lui reprochant de ne pas avoir assez bien rapporté un voyage à l’étranger. Et bien, le prochain voyage du président, il en parlera encore dans son journal ! Non mais ! On ne la lui fait pas à Fottorino. Intouchable qu’il est.

Dans un soucis d’objectivité, après avoir passé 10 minutes à casser du net, la voix off nous précise enfin que les grandes groupes de presse français vivent désormais sous perfusion de l’état.

Et bien voila… Fallait peut-être commencer par là non ?

Pour info, le titre allemand du documentaire était :

Les faiseurs d’opinion français font leur valise.”

- M’en fous, j’ai un bail à vie.

[1] Dans le genre je conseille le nettement plus rigolo, et un minimum documenté, “2012, la conspiration de l’apocalypse“de Dimitri Grimblat.

[2] Laurent Fabius.

[3] En langage télévisuel : ces tarés qui n’ont pas la télé.

» Article initialement publié sur Les jours et l’ennui de Seb Musset

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Vincent Peillon, le coup d’éclat (im)pertinent http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/ http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/#comments Mon, 18 Jan 2010 12:27:30 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7054 Marine LePen a jugé Eric Besson impoli en ce jeudi soir de messe télévisuelle, après en bon rhéteur,  avoir fait rire d’un seul bon mot assimilant notre ministre de l’Identité Nationale à un produit deux en un «  socialiste et UMP à la fois. » A mes yeux,  sans doute sans en être consciente, l’euro député du Front National a posé la vraie question de fond de cette soirée : celle de la politesse dans le débat démocratique médiatisé, celle que Vincent Peillon lui aussi venait de façon fracassante de remettre en cause en transgressant les codes de conduite oratoire et refusant le débat et ses conditions, dans ce que l’on pourrait interpréter un peu facilement comme un geste outrecuidant de fuite ou du moins peu démocratique de refus du débat.

Le philosophe Vincent Peillon a en ce jeudi soir subordonné le Vincent Peillon politicien pour pouvoir convoquer en un geste violent Habermas, Chomsky , Cicéron et Foucault.  Les réactions a son refus « impoli » de se rendre sur un plateau pour débattre sur un sujet qu’il juge indigne prouvent en majorité par leur caractère offusqué cette forme de résorption de la pensée rhétorique dans le préjugé social, qui est devenu notre quotidien médiatique, avec pour ultime critère ce jugement de la foule.

Le spectacle du débat dévoilé

Dans sa justification a posteriori , Vincent Peillon a convoqué sans les nommer Chomsky et Debord : fabrique du consentement et société du spectacle. Sur l’occurrence du deuxième dans notre vie quotidienne, il n’est point besoin de discuter une évidence.  Mais qu’en est il du premier qui remet en cause la mission de service public au sens noble de ce terme à la télévision française ?

Les modalités ( le piège dit il ) du passage de Vincent Peillon dans A vous de juger ne sont pas pertinentes en l’occurrence. Plus pertinent est le contenu même de l’émission.  Le portrait effectué de M. Besson en début d’émission justifie à lui seul l’argumentaire de Vincent Peillon.  Dans ce « reportage », rien ne nous est épargné, rien n’est politique : apparition de l’intime, justification psychologisante, biographisme politique.  Son ex-femme vient nous donner le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy comme un leitmotiv de la vie de son ex-mari. Ses origines sont évoquées avec force musique, appuyant tant sur la méditerranéité d’Eric Besson que sur l’intime douloureux de la perte d’un père remplacé par  chance par la nation. Après avoir saacrifié à cette mode du témoignage de la maîtresse,  même les politiques socialistes interrogés se livrent à des explications  touchant au pathos , parlant d’humiliation. Rien de politique, rien des convictions, tout dans l’extime. Jusqu’au sacrifice suprême du père préférant son devoir envers la Nation et donc éducateur des valeurs républicaines, comme il lui a été transmis par sa mère à qui il fait « une spéciale dédicace »et restant ministre malgré les pleurs honteux de ses enfants. On l’aura compris M.Besson est humain, trop humain.  M.Besson est français, tout le prouve et tolérant, ce qui restait à prouver. Voilà qui est fait, son identité nationale est établie.

images

Puis vint le débat avec Marine LePen qui pose l’identité électorale de ceux que sert M.Besson.  Marine LePen ( qui a hérité des qualités oratoires de son père apparement) fait un contresens lorsqu’elle pose que le FN est le seul  « véritable » opposant à l’UMP , face à l’annonce de la défection de M.Peillon. Elle n’a pas compris que le dispositif de l’émission servait au contraire la fin de convaincre son électorat tout en marquant courtoisement son désaccord avec la xénophobie du FN.  Elle n’est que le contre-exemple sur ce plateau. A l’heure de grande écoute, elle permet à Eric Besson d’être autre chose qu’un traître aux yeux du téléspectateur, mais un être convaincu, car socialiste ou UMP, il sera toujours anti-FN. Elle n’est qu’une stratégie de repoussoir.

S’il est une phrase de cette soirée qui prouve que Peillon a bien fait de convoquer Chomsky, elle vient d’Arlette Chabot qui s’adressant à Eric Besson dit : « vous aimez les effets médiatiques on ne peut pas vous en vouloir vous avez été journaliste ! ». C’est donc cela être journaliste, aimer les effets médiatiques ! Dire que certains pensaient que cela consistait à aimer les faits, les causes, les analyses,  rechercher une forme de vérité !

Ce soir là , l’audimat ne sera pas au rendez vous, mais l’effet médiatique se posera sur ce que l’on attendait pas : la défection « grossière » de Vincent Peillon.  C’est elle qui devient sujet  des interventions, non plus comme habituellement par la présence dans un média mais par l’absence, et plus encore par les modalités de cette absence.

Une polémique est-elle un débat ?

Face à la mine grise de colère contenue d’Arlette Chabot, comment ne pas convenir que M. Peillon a dépasser les bornes de la convenance avec une violence peu commune au service politique de France 2 : un communiqué de presse et l’extinction de son portable ? Faut-il donc être un goujat d’une part et peu démocrate d’autre part pour refuser le débat dans ses conditions ?  Plus largement, quelle part de violence est acceptable dans la pratique du jeu politique médiatisé ?

Vincent Peillon l’a bien compris la polémique nait de la polarisation entre ami et ennemi , face à face constituant du politique et qui prend une dimension tragique avec Eric Besson, ancien compagnon de conviction.  Les procédés dans laquelle celle-ci doit s’exercer sont extrêmement codifiés : langage, présentation etc.  Les opposants rentrent en compétition au sein d’un même espace socio-institutionnel commun dans lequel le but n’est pas d’avoir raison mais de réduire l’autre au silence.  Dans cet espace, l’attention au convenable est essentielle. Pour reprendre Cicéron dans De Oratore, il faut faire preuve de retenues dans les saillies ( dicacitatis moderatio ) et préserver la gravité ( gravitas) en se contrôlant ( temperentia) et en faisant attention à la fréquence de ses traits d’esprit ( raritas dictorum). Ce qu’il ne faut pas, c’est rendre visible une agressivité impropre ( petulentia). Cette même agressivité ne relève pas du fond mais de la forme. On pourrait croire que Vincent Peillon a été «  pétulant » au moins envers  l’animatrice d’A vous de juger ce soir là.

ciceron

Mais ce serait méconnaître la nature de la polémique. L’aspect fondamental de celle-ci est de n’être astreinte à aucune condition ou raison, elle est transgressive des normes traditionnelles.  Pour nier l’existence d’un débat sur l’identité nationale, Vincent Peillon a polémiqué en niant l’existence même du dispositif de débat organisé par France 2.

Un risque politique, une identité

Par cette  transgression, Vincent Peillon s’est éprouvé. Il s’est mis en épreuve, c’est-à-dire qu’il traverse un moment destiné à requalifier  son entité, ce qu’il représente, par rapport à des questions saillantes, celle essentielle des modalités du débat démocratique. Ce faisant, et après avoir révoqué tout jugement moral qui fait passer la dissimulation ( agir stratégique ) pour du mensonge, il légitime la violence de son procédé par les graves conséquences sociales que le débat indigne sur l’identité nationale lui semble porter, et en cela, il prend un risque éminemment politique, d’une acuité et d’une profondeur rhétorique peu en cour actuellement.  Vincent Peillon a donc éprouvé son identité politique et éprouve la notre en mettant à jour la distorsion entre le réel de la politique politicienne et l’idéal de débat démocratique. En somme, il a donné sa pierre à l’édifice de débat national d’Eric Besson : être français, c’est être éminemment politique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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