OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La finance islamique fait salon http://owni.fr/2011/12/20/la-finance-islamique-fait-salon/ http://owni.fr/2011/12/20/la-finance-islamique-fait-salon/#comments Tue, 20 Dec 2011 17:17:39 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=91290

Ne pas faire de politique. Rester dans les thématiques religieuses, et économiques. Lynda Ayadi, vice-présidente de l’Union des musulmans de France, avait des projets précis pour le Salon international du monde musulman qui s’est tenu du 17 au 19 décembre au parc des expositions du Bourget.

La directrice du salon avait aussi de l’ambition : réunir l’ensemble des acteurs qui animent la vie des musulmans en France, notamment sur les questions bancaires. Dix stands étaient réservés à des représentants de la finance islamique. Parmi eux, l’Association d’innovation pour le développement économique et immobilier (l’Aidimm).

Finance éthique

Créée en 2005, l’Aidimm, recherchait des alternatives à l’accession à la propriété explique le président, Saer Saïd :

En creusant les alternatives, nous avons d’abord découvert la finance éthique puis la finance islamique. Elle correspond à une structuration différente et elle est calquée sur l’économie réelle.

Le motif est religieux : la notion de riba issue du Coran interdit de rémunérer l’argent. Proscrits, donc, les taux d’intérêt et l’emprunt. La rémunération d’un placement doit correspondre aux dividendes qu’il a effectivement créés, d’où l’inscription revendiquée dans l’économie réelle et son ancrage dans la finance alternative. Pour Robin Martel qui a mené des recherches sur la finance islamique en France à la School of Oriental and African Studies de Londres :

La Grande-Bretagne est bien plus avancée que la France dans le domaine sous l’influence des pays du Golfe et surtout du Pakistan, Les considérations religieuses n’expliquent qu’en partie le développement de la finance islamique ces dernières années. L’objectif est tout autant d’offrir un service aux musulmans vivant en France que d’attirer les capitaux du Golfe.

Une ambition que confirment ses promoteurs en France, notamment Hervé de Charrette, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président de la Chambre de commerce franco-arabe, qui a pris la tête de l’Institut français de finance islamique, créé en 2009. Dans un article publié sur le site de l’association, il écrit :

Du fait de son récent développement international, la finance islamique est généralement victime d’obstacles législatifs et de surcoûts fiscaux. C’est pourquoi de nombreux pays, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne par exemple, ont adapté leur législation pour éliminer ces obstacles et ces surcoûts. L’enjeu pour la France est donc de participer à ce mouvement afin d’être capable d’attirer elle aussi ces investissements pour le développement de notre pays. La France doit donc prendre en marche le train de la finance islamique.

Une sorte de lobby

Longtemps embryonnaire, la finance islamique s’est structurée à partir de 2008 en France, année de la publication d’un rapport d’information du Sénat, suivi d’une réforme de la fiscalité en 2009. Robin Martel distingue deux tendances parmi les acteurs français :

Aidimm correspond à un développement endogène, issu de la société civile, à destination des entrepreneurs et fait par eux. C’est devenu une sorte de lobby. Une autre tendance, autour de l’IFFI notamment, est plus institutionnelle.

Saer Saïd, président de l’Aidimm, confirme ces activités de sensibilisation et de formation. L’Aidimm produit aussi des certifications de compatibilité avec la Charia. En 2009, sept entreprises du CAC 40 étaient Charia compatibles, affirme Saer Saïd sans en révéler les noms : “C’est à leur service de communication qu’il faut demander !” Il ajoute :

Avec la crise, un nombre croissant de gens sont soucieux de savoir où va leur argent. Les musulmans sont des consommateurs. Ils sont inquiets par la crise.

Un succès qui n’était pas démenti pendant les trois jours du salon. Les files d’attentes ne diminuaient pas devant les stands du quartier finance islamique.


Photos par Pete Bakke [ccbyncsa] et Rogiro [ccbyncnd]

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Les erreurs de frappe du réel http://owni.fr/2011/12/06/les-erreurs-de-frappe-du-reel/ http://owni.fr/2011/12/06/les-erreurs-de-frappe-du-reel/#comments Tue, 06 Dec 2011 07:31:31 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=88847

Les vraies richesses sont celles de la nature. C’est moins leur acquisition que l’usage qui est l’objet de la science économique. Aristote

Il y a vingt cinq siècles, Aristote établissait une distinction entre deux usages de la monnaie : inventée pour faciliter les échanges, comme moyen intercalé entre deux marchandises propres à satisfaire des besoins humains, la monnaie peut aussi servir de point de départ et d’arrivée d’une autre sorte d’échange. Dans ce cas, elle devient une fin en soi : j’investis mon argent de sorte que plus d’argent me revienne. Et dans ce cas, les besoins humains deviennent des moyens d’enrichissement, si bien qu’Aristote excluait cette circulation monétaire de l’économie, les seules “vraies richesses” étant pour lui “celles de la nature” (dans une société esclavagiste le rôle du travail ne peut apparaître dans la formation de la valeur) : “C’est moins leur acquisition que l’usage qui est l’objet de la science économique” . Formidable découverte : tout enrichissement par voie monétaire se retourne contre l’économie (“réelle”, dit-on aujourd’hui) et tourne le dos à la satisfaction des besoins humains.

Vingt-cinq siècles plus tard, un bruit qui court sur une banque, une faute de frappe d’une “agence de notation”, une déclaration sur l’état d’un pays, et voilà des salaires réduits, des usines qui ferment, des gouvernements qui tombent, des services publics que l’on démantèle. L’époque est vertigineuse : ce n’est plus la finance mais quelques mots sur la finance qui brisent des millions de vies. Et loin d’entraîner un débat sur les moyens de casser cette logique mortifère, ce gâchis matériel et humain devient aussitôt un argument de campagne électorale : chaque candidat est sommé de dire comment il compte obéir aux exigences des agences de notations et aux organismes financiers qui en énumèrent les exigences.

C’est ainsi que ceux-là mêmes qui dissertaient sur la finance comme moteur essentiel de l’économie découvraient il y a trois ans que cette finance jouait contre « l’économie réelle », ce qui constitue un aveu que les marchés financiers organisent bien une “économie irréelle” dont ils font le principe même de l’organisation du réel. Aristote, Rousseau et Marx avec lui, nous demanderaient s’ils étaient parmi nous, par quel prodige un peuple qui a son appareil productif et son savoir-faire, ses besoins et ses moyens, peut en quelques jours être déclaré en faillite et condamné à plus de pauvreté pour le plus grand nombre.

En 1967, dans un livre à relire et méditer, La société du spectacle, Guy Debord écrivaient quelques phrases qui résonnent fort aujourd’hui :

Le spectacle soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis.

Il parlait d’une “évidente dégradation de l’être en avoir” et d’un “glissement généralisé de l’avoir au paraître”. “Le spectacle est le gardien de ce sommeil” et à sa racine on trouve “la spécialisation du pouvoir”. C’est fait : la vie est désormais soumise à des signes, des mots, des images au travers desquels les humains sont soumis à certaines formes de domination économique et politique.

Le symbole restera dans l’histoire : la Grèce et l’Italie viennent de se voir imposer deux dirigeants issus de la même institution financière américaine (Goldman Sachs) qui n’a pas peu joué dans la crise financière mondiale, dont ils sont chargés de faire payer les conséquences à leurs peuples. C’est un métier : des organisations internationales aussi discrètes qu’importantes forment à ce genre de tâches politiques, et ce n’est pas par hasard si les deux dirigeants grec et italiens sont membres de la “Commission trilatérale” et du ” Club Bilderberg”. La France n’est pas en reste : toute la campagne présidentielle en cours est d’ores et déjà traversée par le spectacle de l’irréel promu démiurge du réel.

NB : A lire, bien sûr, Aristote (Politiques), Rousseau (Projet de constitution pour la Corse), Marx (Le capital, Livre I) et Guy Debord (La société du spectacle). Rien n’est plus moderne, même si les analyses de la crise financière occasionnent un grand nombre d’ouvrages passionnants.


Poster réalisé par Marie Crochemore pour Owni /-)
Illustration de Temari09 cc-bync via Flickr

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Vers une économie de la contribution http://owni.fr/2011/11/30/vers-une-economie-de-la-contribution/ http://owni.fr/2011/11/30/vers-une-economie-de-la-contribution/#comments Wed, 30 Nov 2011 11:20:41 +0000 Quentin Noirfalisse http://owni.fr/?p=88788 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce n’est plus un secret pour personne : le capitalisme est en train d’être dévoré par ses propres effets toxiques. En 2005, parmi d’autres voix peu écoutées alors, une association française, Ars Industrialis, lancée par quatre philosophes et une juriste, avait sonné le tocsin. A l’époque, leur manifeste décrivait les dangers d’un capitalisme “autodestructeur” et la soumission totale aux “impératifs de l’économie de marché et des retours sur investissements les plus rapides possibles des entreprises” et notamment celles actives dans les médias, la culture ou les télécommunications.

Aujourd’hui, l’association comporte plus de 500 membres, économistes, philosophes, informaticiens et toxicologues (car le capitalisme est devenu “addictif” et “pulsionnel”) confondus et ne semble pas s’être trompée de sonnette d’alarme. “Nous faisons partie des gens qui ont soulevé, dès 2006, l’insolvabilité chronique du système financier américain. On nous riait au nez, à l’époque”, explique le philosophe Bernard Stiegler, fondateur d’Ars Industrialis et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou.

Malaise du consumérisme

L’homme habite un petit moulin industriel reconverti en maison à Epineuil-le-Fleuriel, au beau milieu de la France paysanne. Entre quelques cris de paons, il vient de nous détailler le malaise qui s’empare de tous les échelons de la société.

Au 20ème siècle, un nouveau modèle s’est substitué au capitalisme industriel et productiviste du 19ème : le consumérisme, qu’on assimile au Fordisme et qui a cimenté l’opposition producteur/consommateur. Le capitalisme productiviste supposait la prolétarisation des ouvriers. Ceux-ci perdaient tout leur savoir-faire qui était transféré aux machines. Avec le consumérisme, ce sont les consommateurs qui perdent leur savoir-vivre, ce qui constitue la deuxième phase de la prolétarisation.

Chez Stiegler, le savoir-vivre, c’est ce qui permet à un homme de pouvoir développer ses propres pratiques sociales, d’avoir un style de vie particulier, une existence qui n’est pas identique à celle de son voisin.

Le problème du capitalisme, c’est qu’il détruit nos existences. Le marketing nous impose nos modes de vie et de pensée. Et cette perte de savoir-faire et de savoir-vivre devient généralisée. Beaucoup d’ingénieurs n’ont plus que des compétences et de moins en moins de connaissances. On peut donc leur faire faire n’importe quoi, c’est très pratique, mais ça peut aussi produire Fukushima. L’exemple ultime de cette prolétarisation totale, c’est Alan Greenspan, l’ancien patron de la Banque fédérale américaine, qui a dit, devant le Congrès américain qu’il ne pouvait pas anticiper la crise financière parce que le système lui avait totalement échappé.

Que la justification de Greenspan soit sincère ou non, il n’en ressort pas moins que le système ultra-libéral qu’il a sans cesse promu a engendré la domination de la spéculation à rendement immédiat sur l’investissement à long terme. Nous assistons, déplore Stiegler, au règne d’une “économie de l’incurie” dont les acteurs sont frappés d’un syndrome de “déresponsabilisation” couplé à une démotivation rampante.

Où se situe la solution ? Pour Stiegler, l’heure est venue de passer du capitalisme consumériste à un nouveau modèle industriel : l’économie de la contribution. En 1987, le philosophe organise une exposition au Centre Pompidou : “Les mémoires du futur” où il montra que “le 21ème serait une bibliothèque où les individus seraient mis en réseaux, avec de nouvelles compétences données par des appareils alors inaccessibles.”

Depuis, Stiegler a chapeauté la réalisation de logiciels et réfléchit le numérique, convaincu qu’il est, en tant que nouvelle forme d’écriture, un vecteur essentiel de la pensée et de la connaissance. Il a observé de près le mouvement du logiciel libre. C’est de là qu’aurait en partie germé l’idée d’une économie de la contribution. Car dans le “libre”, l’argent n’est plus le moteur principal. Il cède la place à la motivation et la passion, deux valeurs en chute libre dans le modèle consumériste. La question du sens donné aux projets par leurs participants y occupe une place centrale.

Le logiciel libre est en train de gagner la guerre du logiciel, affirme la Commission européenne. Mais pourquoi ça marche ? Parce que c’est un modèle industriel – écrire du code, c’est éminemment industriel – déprolétarisant. Les processus de travail à l’intérieur du libre permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à échanger avec les autres. Cela fait longtemps, par exemple, que les hackers s’approprient les objets techniques selon des normes qui ne sont pas celles prescrites par le marketing.

De la même manière, une “infrastructure contributive” se développe, depuis deux décennies, sur un Internet qui “repose entièrement sur la participation de ses utilisateurs”. Elle a permis, entre autres, d’accoucher de Wikipédia et de substituer à la dualité consommateur/producteur un ensemble de contributeurs actifs. Ceux-ci créent et échangent leurs savoirs sur le réseau, développant ainsi des “milieux associés” où ils peuvent façonner leurs propres jugements. Pour Stiegler, cette capacité à penser par soi-même propre au modèle contributif, est constitutive d’un meilleur fonctionnement démocratique.

Poison et remède

Pas question, toutefois, de tomber dans un angélisme pontifiant. Dans ses textes, il décrit le numérique comme un “pharmakon”, terme grec qui désigne à la fois un poison et un remède, “dont il faut prendre soin”. Objectif : “lutter contre un usage de ces réseaux au service d’un hyperconsumérisme plus toxique que jamais”, peut-on lire dans le Manifeste d’Ars Industrialis. Stiegler complète, en face-à-face : “Le numérique peut également aboutir à une société policière. Soit on va vers un développement pareil, soit vers l’économie de la contribution.”

D’ores et déjà, des embryons de ce modèle naissent dans d’autres domaines. “Une agriculture contributive existe déjà. L’agriculteur et ses consommateurs deviennent des partenaires, en s’appuyant notamment sur le web.” En France, cela se fait au travers des AMAP, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, où les différents acteurs se mettent d’accord sur la quantité et la diversités des denrées à produire. Stiegler poursuit :

Dans l’univers médical, les patients sont parfois intégrés à la recherche, comme ce qu’a fait le professeur Montagnier avec les malades du SIDA. Nous pensons également qu’il y a des domaines contributifs en énergie, où l’idée serait de produire autant que l’on reçoit, grâce aux réseaux de distribution intelligents, les smart grids. C’est bien sûr totalement contraire aux intérêts des grands groupes.

Ainsi, l’idée d’une économie de la contribution implique que des pans entiers de nos sociétés sont à réinventer. Stiegler énumère certains besoins : “une politique éducative en relation avec le numérique, un nouveau droit du travail, un système politique déprofessionnalisé, un monde de la recherche où professionnels et amateurs sont associés. Nous plaidons beaucoup pour cette figure de l’amateur, qui aime ce qu’il fait et s’y investit complètement.” Reste, finalement, la question de l’argent. La valeur produite par les contributeurs n’est pas toujours monétarisable, mais peut avoir un impact sur l’activité économique. Ainsi, les articles de Wikipédia permettent à Bernard Stiegler d’écrire beaucoup plus vite qu’avant. “La puissance publique doit être en charge d’assurer la solvabilité des contributeurs. Quelqu’un qui a un projet intéressant doit pouvoir recevoir de l’argent. Cela s’inscrit dans le sillage de thèses classiques comme le revenu minimum d’existence, à ceci près que nous pensons que ces budgets doivent être pensés comme des investissements.”

Reproduire de l’investissement, non seulement financier, mais surtout humain. Aux yeux de Stiegler, voilà l’enjeu d’une sortie de crise. Et voilà, aussi, pourquoi il appelle à la réunion des hackers, des universités, des chercheurs, des amateurs et des gens de bonne volonté (“il y en a partout”) face à un “néolibéralisme devenu l’organisation généralisée du désinvestissement”.


Florilège de projets numériques contributifs à portée démocratique

Telecomix

Quand Internet a été coupé en Egypte, qui a permis de rétablir des connexions avec de bons vieux modems 56,6k ? Qui a diffusé en Syrie des informations pour contourner la censure du net et mis en palce des communications avec des citoyens syriens ? Qui a contribué à dénoncer le fait que des entreprises françaises (Amesys) ou américaines (Bluecoat) aient vendu des systèmes de surveillance du réseau en Libye et en Syrie ? Une seule réponse à ces trois questions : Telecomix, une “désorganisation” de hackers, qui est également une idée, celle de la communication libre. Ils sont bénévoles, viennent de partout et fonctionne selon la do-ocratie : “T’as envie de faire un truc ? N’attends pas, fais-le et des gens te rejoindront.”

Mémoire Politique

Marre de vous perdre dans les méandres du site du Parlement européen ? Mémoire Politique, qui est codé et enrichi par des contributeurs bénévoles, devrait vous aider. Le projet, mené par l’organisation la Quadrature du Net, qui “défend les droits et libertés des citoyens sur Internet”, se veut une boîte à outils pour scruter les votes de nos représentants européens (et français, aussi) et rassembler des infos sur leur travail. Et donc de voir quelle est leur position sur les projets dangereux, selon la Quadrature du Net, pour le réseau, tels que le trait controversé ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon).

GlobaLeaks

Quoi, encore un nouveau WikiLeaks ? Pas du tout. Initié en Italie, GlobaLeaks n’est pas un service de lancement d’alerte en tant que tel. GlobaLeaks est un projet qui vise à offrir un ensemble de logiciels libres, d’outils et de bonnes pratiques pour mettre en place sa propre plateforme de fuites. L’idée part d’un constat : il existe beaucoup de projets type Wikileaks mais aucun qui ne soit tout à fait libre. En offrant un logiciel qui permet d’installer ce genre de plateforme, avec les garanties d’anonymat et de protection des données nécessaires, GlobaLeaks veut combler ce manque. Les publics cibles vont des médias internationaux aux petites entreprises, des agences publiques aux activismes de la transparence. Toujours à l’inverse de WikLeaks, GlobaLeaks n’a pas de visage médiatique mais uniquement des contributeurs anonymes et n’est en aucun cas impliqué dans le traitement des documents.

HackDemocracy

Les données ouvertes, la transparence, l’activisme numérique ou soutenu par le numérique, le whistleblowing, les médias citoyens. Pêle-mêle, voici le genre de sujets qu’on débat chaque mois aux rencontres HackDemocracy, organisée au BetaGroup Co-Working Space à Bruxelles ainsi qu’à San Francisco. Leur devise : “Des innovations pour plus de démocratie”. Avec l’objectif de rassembler hackers et officiels dans des projets collaboratifs et d’alimenter une réflexion sur les limites et promesses des nouvelles technologies.


Article initialement publié sur Geek Politics, sous le titre “Bernard Stiegler: ‘Le temps est venu de passer d’un consumérisme toxique à une économie de la contribution’”

Illustrations par GB Graphics © pour Geek Politics et Tsevis [cc-bysa] via Flickr

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Un ex-directeur de BNP balance http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/ http://owni.fr/2011/11/25/directeur-bnp-paribas-balance-tumblr/#comments Fri, 25 Nov 2011 08:23:01 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=87979

Lundi 14 novembre au matin, les employés de BNP Paribas Securities Services (BP2S), l’activité de titres de BNP Paribas, ont reçu un étonnant mail de leur ancien directeur, Jacques-Philippe Marson :

Chères amies, Cher amis, Dear Friends,

Le 9 novembre dernier marquait l’anniversaire de deux années passées après le premier jour d’une inspection générale “spéciale” qui a conduit scandaleusement à mon licenciement.  J’ai décidé de rompre le silence que je m’étais imposé et de m’exprimer publiquement par le biais d’un blog.
Je publierai au fil des jours et semaines qui viennent les événements tels que je les ai vécus.  Je vous livrerai analyse et reflexion à ce dossier qui s’avèrera accablant pour ceux qui l’ont intitié et pour ceux qui l’ont soutenu.

Intitulé “Histoire d’un licenciement abusif”, son site sur Tumblr (une plate-forme de microblogging) met sur la place publique les affaires internes qui ont abouti à sa mise à pied fin 2009, suivi de son licenciement pour faute grave. L’affaire avait été médiatisée à l’époque, dans une séquence peu glorieuse pour la finance, entre le krach de 2008 et les affaires Kerviel et Madoff.

En première lecture, l’affaire à l’origine de son éviction apparaît tortueuse. L’ex-dirigeant a été accusé d’avoir profité de sa position pour obtenir des commissions occultes de la part d’un homme d’affaire malien, Aliou Boubacar Diallo dans le cadre d’un projet minier au Mali. Trois plaintes croisées ont été déposées, la BNP contre Jacques-Philippe Marson, Aliou Boubacar Diallo contre Jacques-Philippe Marson et Jacques-Philippe Marson contre Alliou Diallo.

Suite à ces plaintes, le parquet de Paris a décidé de l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée aux experts de la Brigade financière, en janvier 2010. Lesquels, depuis, n’ont rien trouvé. Jacques-Philippe Marson justifie de sortir seulement maintenant du silence :

J’ai attendu que les plaintes soient traitées ou classées pour agir. Toutes les plaintes ont été classées. Je consacrerai un chapitre détaillé sur les trois plaintes.

Violence des échanges en milieu tempéré

Les quelques billets qu’il a déjà mis en ligne annonce la couleur, plutôt rouge colère que vert BNP. Promettant d’”appuy[er] par des preuves écrites et par des témoignages” ses accusations, il tape dur, d’emblée :

À ce jour le groupe n’apporte aucune preuve. Il se base uniquement sur le rapport “à charge” de l’inspection générale dont les conclusions sont absolument fausses et totalement mensongères. Une analyse détaillée en sera faite dans les chapitres à venir.

Selon lui, il y a à l’origine de la procédure, “une lettre de dénonciation”, le 30 septembre que “B. Prot, Directeur Général du Groupe BNP Paribas reçoit en mains propres de son frère”, Guillaume Prot alors directeur général du groupe Moniteur. L’avocate de l’homme d’affaire malien, Julia Boutonnet, décrit quant à elle Jacques-Philippe Marson comme un affabulateur. Quant au classement des plaintes, il est logique pour elle :

Le cas de M. Marson relevait plus du civil que du pénal, ce qu’on reprochait à mon client ne tenait pas la route et la BNP ne voulait pas faire de publicité.

Pour le manque de publicité, c’est loupé. L’état-major est aussi passé au couteau :

A ce jour, aucun membre de la direction générale du groupe, aucun membre des cadres dirigeants du groupe, aucun des cadres de mon équipe dirigeante n’ont jugé utile de m’accorder une seconde d’écoute.  Aucune des ces éminentes personnes n’a jugé utile de me soutenir dans cette double et terrible épreuve : professionnelle et personnelle.

Dans un billet publié ce jeudi, Jacques-Philippe Marson accuse implicitement Jacques d’Estais, qui lui a succédé, de diffamation :

Le lendemain, 24 novembre, mon responsable hiérarchique a réuni 350 cadres de BP2S pour les informer de ce qui se passait. Vous trouverez ci-après la version intégrale des propos tenus par Jacques d’Estais. Je vous laisse juge du caractère diffamatoire ou non de son discours.

Choc des cultures

Au final, choc des cultures garanti entre le milieu feutré de la banque, adepte de la logique verticale (“top-down”) et la plate-forme Tumblr, la plus populaire, le seuil d’accès le plus bas au blogging, plus connu pour ses gifs animés que pour servir de porte-voix aux victimes d’injustice.

Jacques-Philippe Marson a bien contacté des journalistes pour tenter d’attirer leur attention sur son histoire mais las : selon ses dires, son histoire n’est pas assez sexy à leurs yeux. Crucifier un ponte de la banque, c’est intéressant (lorsque son affaire a éclaté), le blanchir, nettement moins, a fortiori s’il n’a pas de révélations fracassantes à faire sur la BNP :

BNP est une organisation qu’en tant qu’organisation je respecte, ce sont des personnes qui sont responsables de mon licenciement. Et je ne suis pas un mouchard.

Il n’a pas non plus confiance en la justice, qui l’a débouté aux prud’hommes en un quart d’heure, comme un vulgaire justiciable de base :

D’habitude, ces affaires ne se règlent pas aux prud’hommes.

Selon lui, son drame se heurte au corporatisme des salariés, qui auraient modestement relayé ses demandes. Jacques-Philippe Marson parle carrément d’omerta. L’un de ses anciens collègues a ainsi refusé de faire suivre le mail de JP Marson :

je n’ai pas trop envie d’aller à la pêche au mail dans ce cas précis. Ce qui se passe à Pantin reste à Pantin!

L’ex-dirigeant assure que son blog a fait son petit effet. Un salarié nous a raconté que la méthode avait surtout surpris :

Ça a fait parler en interne, enfin surtout vu la méthode utilisée (un mail envoyé sur les mails pro lundi pendant la nuit).

La BNP semble avoir opté pour une défense basique. La plate-forme avait été débloquée voilà quelques temps. Curieusement, peu de temps après l’envoi du mail, l’accès était de nouveau bloqué pour le personnel connecté en interne. Contacté, le service de presse a eu cette réaction :

Il a un blog ? Vous m’apprenez quelque chose. Je ne m’occupe pas de la partie BP2S. [je lui dicte le nom du Tumblr] Tumblr est bloqué chez nous. Bon, il n’est pas content, ça fait du bien de se déverser.

Dans cette ténébreuse affaire, les détails manquent sur les raisons pour lesquelles la BNP aurait décapité l’ancien directeur. Pour l’heure, l’ex-dirigeant n’a que des hypothèses, qu’il refuse que nous rendions publiques. La suite au prochain post. Dans le cadre de cet article, nous avons tenté de recueillir des commentaires de la part de la direction de BP2S. En vain.

Images CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Cade Buchanan et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification M Domondon

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La philosophie du gouvernail http://owni.fr/2011/11/10/la-philosophie-du-gouvernail/ http://owni.fr/2011/11/10/la-philosophie-du-gouvernail/#comments Thu, 10 Nov 2011 07:37:48 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=86153

Si nous avons un prince, c’est afin qu’il nous préserve d’avoir un maître.
- Pline l’Ancien

La planète a échappé à un scandale : un peuple d’Europe a failli être consulté sur l’avenir de ses salaires, de ses services publics, de son économie, de tout ce qui fait sa vie. Fort heureusement, ce ne sera pas le cas : les Grecs – dont les ancêtres inventèrent jadis la démocratie –  devront subir leur sort sans mot dire. Les grands de ce monde et les Bourses avaient bondi à cette simple idée, les traitant d’irresponsables et de « populistes » : quiconque prétendant donner au peuple un rôle décisionnel se voit ces temps-ci traité de « populiste », ce qui signifie en clair que la félicité du peuple dépend toujours de ses maîtres et jamais de lui-même.

Combien de fois des gouvernants élus ont-ils manifesté leur mépris pour les « porteurs de pancartes » et autres manifestants ou grévistes, clamant haut et fort que la politique ne se décide pas dans la rue mais seulement parmi ceux que les citoyens ont élus ? Et il est vrai que ce sont bien les citoyens qui leur ont conféré leurs pouvoirs. On objectera peut-être que ces pouvoirs sont injustement définis par une Constitution peu démocratique. Mais ce sont encore une fois les citoyens eux-mêmes qui ont, directement ou indirectement, explicitement ou implicitement, activement ou passivement, permis à cette Constitution d’être promulguée et conservée ou même aggravée avec le temps. Si toute légitimité repose en dernière analyse sur la volonté du peuple lui-même, si « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi », selon les termes du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, alors les élus des démocraties représentatives modernes n’ont en un sens pas tort de se déclarer « légitimes ». Et ils ne s’en privent pas.

En même temps, en un autre sens, ce raisonnement peut apparaître très contestable, et relever du pur sophisme. C’est même pour que les citoyens n’aillent pas plus loin dans leur dangereuse réflexion, que l’accusation de « populisme » leur est si souvent lancée. Admettons que les citoyens aient voté d’une manière ou d’une autre pour que ceux qui les dirigent aient accédé à leurs places et disposent de tels pouvoirs de décision ; que leur ont-ils transféré par cette voie ? La réponse semble aller de soi : on élit des représentants pour qu’ils gouvernent, qu’ils soient parlementaires ou Présidents. Pourtant chaque mot pose problème.

Représenter, c’est rendre présent ce qui est absent, comme s’il était effectivement présent. Par exemple, un Ambassadeur ne décide pas quelles seront les relations de son pays avec le pays où il est en poste : il ne fait que représenter son gouvernement et ne dit donc rien d’autre que ce que son gouvernement lui demande de dire. Un représentant de commerce ne doit de même rien faire d’autre que ce que son entreprise lui demande de vendre dans telles ou telles conditions.

Ce qui signifie qu’un « représentant » ne peut être doté d’aucun « pouvoir » propre, faute de quoi il cesse de « représenter » pour se mettre « à la place de ». Au nom de quoi les « représentants du peuple » ont-ils alors le pouvoir de décider des lois et de toute la politique d’un pays sans que les citoyens aient aucun moyen de ratifier ou non leurs décisions ? On a pu voir dans la chronique précédente qu’aucun démocrate ne l’a toléré jusqu’à une période historique récente.

Mais si ce mot « représenter » pose ce problème, c’est parce que l’autre mot, « gouverner », en pose un autre, d’aussi grande ampleur. Dans la conscience des citoyens d’aujourd’hui, « gouverner » et « diriger » sont devenus synonymes.

Or gouverner c’est tenir le gouvernail, et diriger c’est définir une direction, un cap. En navigation, d’où ces métaphores tirent leur origine, le cap est décidé par les utilisateurs du bateau, les passagers qui doivent rester maîtres de la destination de leur voyage, et le gouvernail est confié par nécessité pratique à quelques marins à seule fin que ce cap soit maintenu. Qui accepterait que celui à qui l’on confie la barre se mette à décider de modifier le pays d’arrivée ?

On a donc besoin de « gouvernants » pour mettre en œuvre une politique décidée par les citoyens, pas pour la définir ou la modifier. Sans quoi il n’y a plus de démocratie entre deux élections. « Si nous avons un prince, c’est afin qu’il nous préserve d’avoir un maître », selon les mots de Pline que Rousseau cite dans son Discours sur l’inégalité.

C’est en ce sens que l’expression « démocratie représentative » devient une contradiction dans les termes : à force de confondre gouverner et diriger, les citoyens en viennent à se détourner des formes institutionnelles de leurs démocraties pour tenter d’inventer autre chose. Et si certains appellent cela une « dépolitisation » ou un « populisme », on peut y voir peut-être aussi une promesse de réinvention des libertés humaines.


PS : À lire, dans La solitude de l’isoloir, que viennent de publier les éditions Autrement (ouvrage collectif dirigé par Pascal Perrineau et Luc Rouban), le chapitre que Pascal Perrineau consacre au vote d’extrême-droite, dans son rapport à la crise de la démocratie représentative. Et relire, avec passion et rigueur, Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau pour s’orienter dans les enjeux d’avenir.


Essayiste, Jean-Paul Jouary chronique avec philosophie la présidentielle. Retrouvez ses billets parus sur OWNI.


Illustration via Flickr par Temari09 [cc-by-nc] remixée par Ophelia Noor pour OWNI.
Poster-citation de Marion Boucharlat [by-nc-sa] pour OWNI.

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WikiLeaks éclate une bulle de schiste http://owni.fr/2011/08/31/wikileaks-eclate-une-bulle-de-schiste/ http://owni.fr/2011/08/31/wikileaks-eclate-une-bulle-de-schiste/#comments Wed, 31 Aug 2011 12:42:56 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=77565 Dès septembre 2009, l’ancien vice-président de la société pétrolière saoudienne Aramco, Ibrahim al-Husseini prévenait les États-Unis de la surévaluation des capacités du gaz de schiste. Selon lui, le boom de l’industrie des gaz de schiste était une bulle. Dans un télégramme diplomatique du consulat américain de Dharan (en Arabie Saoudite) publié par WikiLeaks, l’analyse de ce membre de la famille régnante, ingénieur pétrogazier d’expérience, n’est pas flatteuse :

Les réserves de gaz de schiste […] sont largement surestimées.

Une conclusion à laquelle se rangeaient de nombreux cadres de l’industrie pétrogazière et de la finance, dont le New York Times a révélé une partie des échanges entre 2009 et 2011. Alertée sur une possible bulle financière autour des gaz de schiste, l’autorité des marchés financiers américaine (la SEC) a depuis assigné en justice de nombreuses compagnies dont Chesapeake, ExxonMobil et Southwestern Energy.

Dans ces dossiers, la SEC exige de connaître la réalité des réserves en gaz de schiste dont les compagnies se sont vantées ; leur permettant de réaliser de copieux profits boursiers.

Folles spéculations

L’enquête apparaît d’autant plus justifiée à la lecture de ces nouveaux éléments apportés par WikiLeaks. En septembre 2009, al-Husseini condamnait cette nouvelle ressource et les folles spéculations dont elle faisait l’objet, avec un argument certes un peu technique, mais imparable :

Alors comme ça, la Marcellus shale [gisement du gaz de schiste du Nord Est des États-Unis] contiendrait plus de gaz que les champs Nord du Qatar ?

Eh bien, c’est formidable, mais même à un rythme de 3,4 millions de pieds cube par jour (scfd) [soit 0,1 million de mètres cubes environ] par an et par puits, ça va prendre un sacré temps pour remplacer un champ de 900 milliards de pieds cube de réserves. Dans le même temps, les États-Unis consomment 63 milliards de scfd de gaz, ce qui nécessiterait quelque chose comme 20 000 puits avec une production de 3 millions de scfd chacun. Et, à la vue de la baisse rapide de production des puits, cela nécessiterait de creuser quelque chose comme 10 000 nouveaux puits par an pour être à l’équilibre.

Fin 2009, déjà, 26 000 puits avaient été fracturés et le rythme n’a fait que s’accélérer depuis. En août 2009, un spécialiste de Anglo-European Energy avait tranché dans le vif :

Je connais bien les caractéristiques des bons puits [d'hydrocarbures] (lent déclin de la production, faible coût d’exploitation, production importante) et, comme vous le savez, les gisements de gaz de schiste n’ont aucune de ces caractéristiques.

Une information inaccessible aux autorités américaines à l’époque mais qui était, au même moment, transmise par la voie d’un document diplomatique à Washington. Télégramme terminé par une considération personnelle du consul de Dharan :

Le scepticisme [sur les ressources pétrolières] hors OPEP et sur ressources d’énergie non-conventionnelle présente un certain intérêt.

Pas sûr que Washington ait su le saisir à temps.


Crédits photo FlickR CC : by-nd Wootang01

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Gaz de schiste : les nouveaux subprimes ? http://owni.fr/2011/07/04/gaz-de-schiste-les-nouveaux-subprimes/ http://owni.fr/2011/07/04/gaz-de-schiste-les-nouveaux-subprimes/#comments Mon, 04 Jul 2011 16:48:25 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=72673

La rumeur dans le milieu des indépendants est que les grandes zones d’extraction des gaz de schiste ne sont qu’une énorme pyramide de Ponzi et que le modèle économique ne marche tout simplement pas.

Ce jugement sans appel n’est pas celui d’un militant écologiste : en bas de ce mail révélé par le New York Times figure la signature du très sérieux cabinet IHS Drilling Data, expert en énergie. Au total, ce sont des centaines de communications internes au secteur de l’énergie que le quotidien américain a publié le 27 juin 2011. Une somme qui restitue un inquiétant constat : l’industrie des gaz de schiste repose sur des évaluations reconnues comme fausses. Un mensonge gros de plusieurs milliards de dollars que les géants du secteurs tentent déjà de dissimuler pour éviter l’effondrement de la bulle.

« Le plus grand secteur économique à fonds perdus du monde »

Etalés sur trois ans, les échanges portent sur tous les aspects de cette nouvelle industrie, et principalement sur les gisements du Sud-Est Etats-Unis (Barnett shale et Haynesville shale). Premier problème, les réserves semblent avoir été surévaluées dès le départ. Là où les communiqués de presse et déclarations publiques du géant texan Chesapeake revendiquent jusqu’à 50 ans de durée de vie pour les puits de gaz de schiste de la Barnett shale, certains géologues doutent que l’on puisse atteindre les 20 ans. Un géologue tente ainsi de prévenir un cadre de l’entreprise de ses doutes sur les évaluations dans un mail daté du 17 mars 2011 :

Vous avez parfaitement raison de mettre en question la durée de vie des puits. Nos ingénieurs évaluent leur potentiel à 20 ou 30 ans de production et, à mon avis, cela reste à confirmer. En fait, je suis plutôt sceptique à propos du pourcentage de déclin de la production après la première année d’exploitation. Dans certains cas, les puits sont excellents et produiront de grands volumes sur la période prévue mais certains s’épuisent rapidement.

Seul problème, « l’argent coule à flot pour profiter de cette nouvelle « nouveauté » que constitue ce secteur de l’énergie qui est fondamentalement non rentable », comme le déclare le responsable du fonds d’investissement PNC dans un mail. En 2009, le leader mondial du pétrole Exxon Mobile déboursait 41 milliards de dollars pour la start up des gaz non conventionnels XTO avant de remettre la main à la poche en juin 2011 pour acheter Philips ressources 1,7 milliard. Pour ne pas rompre le cycle, certaines entreprises usent de ficelles très douteuses pour ne pas éveiller de doutes chez les investisseurs.

Bien côté en bourse, Chesapeake est ainsi identifié pour sa « comptabilité agressive », comme le relève une note de la société d’investissement Argus dans une de ses analyses. Pour se procurer du cash, la compagnie a ainsi recours à des « volumetric production payments », sorte de bons par lesquels elle commercialise sa future production gazière contre paiement immédiat. Or, au lieu de marquer le gaz déjà vendu par ce procédé en dette dans ses bilans comptables, Chesapeake gonfle artificiellement sa production en le signalant comme stock. Un gaz dont certains doutent seulement qu’il soit jamais produit…

Refourguer les puits pour continuer de faire du cash

Selon les données communiquées en interne que s’est procuré le New York Times, des puits très productifs existeraient donc parmi les 10000 dont Chesapeake est propriétaire, mais ils seraient entourés de puits où la vente du gaz extrait compense à peine le coût des opérations. Au Texas, certaines zones commencent déjà à montrer des signes d’épuisement, comme la région de Fort Worth, à l’Ouest de Dallas. Dans la région, Chesapeake a acheté à tour de bras des droits d’extraction à des particuliers, jusqu’à 27500$ par acre (environ 4m²). Si le « boom » des gaz de schiste venait à faire pschit, l’économie locale pourrait s’effondrer plus vite encore que les cours de bourses des géants. D’autant plus que les gaziers préparent déjà des options de repli.

Car la condition sine qua non de la rentabilité de ce business n’a toujours pas été remplie : seule une augmentation conséquente du prix des hydrocarbures permettrait de couvrir les frais d’extraction des gaz de schiste et les rendraient ainsi rentables. Quand nous nous sommes intéressés pour la première fois à la question en novembre 2010, le physicien canadien Normand Mousseau (auteur du livre « La révolution des gaz de schistes ») pointait un écart énorme qui ne s’est toujours pas comblé:

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ [canadiens] le gigajoule((1 gigajoule correspond à un sixième de baril de pétrole)) mais coûte à peu près 6$ le gigajoule à produire.

Pour masquer ce problème, certaines sociétés ont ainsi envisagé de forer plus de puits pour masquer le manque de rentabilité de ceux déjà exploités. Prévoyant l’effondrement, un cadre de la société de service pétrolier Schlumberger formule une solution encore plus cynique : il suffit de revendre les puits pourris à des gogos, « il y a toujours un plus gros pigeon », conclut-il. Aucune hypothèse n’émerge sur l’issue de cette fuite en avant financière et industrielle, sinon celle d’un cadre de Anglo-Energy Corporation :

L’esprit de troupeau qui se manifeste face aux schistes s’achèvera peut-être comme la crise des subprimes.

Avec le SEC (l’autorité des marchés financiers américaines) sur les dents et les démocrates qui exigent désormais des comptes à l’agence de l’énergie sur ses évaluations des réserves, il se pourrait bien que cette dernière prédiction se trouve réalisée.


Article publié initialement sur OWNIschiste.

Photos : FlickR PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions InitialesAuzigog ; Paternité Afroswede ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Bradphoria.

Image de une Loguy pour OWNI /-)

Retrouvez les autres articles du dossier sur les bulles économiques :

Grand Paris, énergie, économie… PYRAMIDES DE PONZI !

Bitcoin : de la révolution monétaire au Ponzi 2.0

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La crise grecque au-delà de la mythologie http://owni.fr/2011/06/26/la-crise-grecque-au-dela-de-la-mythologie/ http://owni.fr/2011/06/26/la-crise-grecque-au-dela-de-la-mythologie/#comments Sun, 26 Jun 2011 09:15:07 +0000 Alex Andreou http://owni.fr/?p=71521 Je n’ai jamais été à la fois aussi désespéré d’avoir à expliquer cela, et aussi plein d’espoir que les gens comprennent ce simple fait : les mouvements de protestation en Grèce vous concernent tous, directement.

Ce qui est en train de se passer à Athènes en ce moment, c’est la résistance contre une invasion à peu près aussi brutale que celle de la Pologne en 1939. Les envahisseurs portent certes des costards au lieu des uniformes, et sont équipés d’ordinateurs portables plutôt que de fusils, mais ne nous trompons pas : l’attaque contre notre souveraineté est tout aussi violente et profonde. Les intérêts de fortunes privées sont en train de dicter la politique à adopter par notre nation souveraine, qui est expressément et directement contre l’intérêt national. L’ignorer, c’est ignorer le danger. Peut-être préférez-vous vous imaginer que tout ceci va s’arrêter là ? Peut-être encore vous dites-vous que l’huissier n’entrera pas ensuite au Portugal, en Irlande, en Espagne, pas plus qu’en Angleterre ? Tout ceci a déjà commencé, et c’est pourquoi on ne peut pas se permettre d’ignorer ce qui est en train de se produire.

Ce sont eux qui nous imposent toutes ces privatisations. Josef Schlarmann, un membre senior du parti de Angela Merkel nous a récemment fait une suggestion ô combien utile [en] : nous devrions vendre nos îles à des investisseurs privés afin de payer les intérêts de notre dette, intérêts qui nous ont été imposés pour stabiliser les institutions financières et l’échec d’une expérience monétaire. Et bien sur, ce n’est qu’une coïncidence si des études récentes montrent qu’il y auraient d’immenses réserves de gaz sous la mer d’Égée.

La Chine s’est impliquée là-dedans [en] car elle détient d’énormes réserves de change, dont plus d’un tiers en euros. Des sites historiques tels que l’Acropole pourraient être privatisés. Si nous ne répondons pas aux demandes des politiciens étrangers, le risque est qu’ils nous l’imposent. Ils transformeront le Parthénon et l’ancienne Agora en Disneyland, et ils sous-paieront des gens à se déguiser en Platon ou en Socrate pour jouer les fantaisies des riches.

Les Grecs sont tombés dans le piège du capitalisme

Comprenez bien que je ne cherche pas à exempter mes compatriotes de tout reproche. Nous avons commis beaucoup d’erreurs. Quand je suis revenu en Grèce en 2006, j’ai passé les premiers mois à observer un pays complétement différent de celui que j’avais laissé derrière moi en 1991. Chaque panneau, chaque arrêt de bus, chaque page de magazine vantait les mérites des crédits à taux bas. C’était une distribution d’argent gratuit !

Vous avez un prêt que vous ne pouvez pas honorer ? Venez chez nous, contractez un emprunt encore plus gros, et nous vous offrirons un strip-tease en cadeau de bienvenue ! Bien sûr, les noms des entreprises qui achetaient ces publicités ne vous sont pas inconnus : HSBC, Citibank, Crédit Agricole, Eurobank etc.

Non sans regrets, je dois admettre que nous avons mordu à l’hameçon. Le psychisme grec a toujours eu un talon d’Achille : une crise d’identité imminente. Nous chevauchons trois continents, et notre culture a toujours été un melting pot à l’image de notre géographie. Et plutôt que d’embrasser cette richesse, nous avons décidé d’être définitivement européens, capitalistes, modernes, et occidentaux. Et bon sang, nous avons été très bons à ce petit jeu ! Nous étions en phase de devenir les plus Européens, les plus capitalistes, les plus modernes, et les plus occidentaux. Nous étions des ados avec la carte platinum de nos parents.

Je ne voyais pas la moindre paire de lunettes de soleil qui ne soit pas blasonnée de la marque Diesel ou Prada, ou de paires de tongs qui ne portent le logo de Versace ou D&G. Les voitures autour de moi étaient des Mercedes et des BMW. Si quelqu’un avait le malheur de prendre des vacances pour une destination plus proche que la Thaïlande, il préférait rester discret à ce sujet. Il y avait un incroyable manque de bon sens, et rien pour nous avertir que ce printemps de richesse risquait de ne pas être éternel. Nous sommes une nation endormie qui marche, somnambule, vers les profondeurs de notre nouvelle piscine carrelée à l’italienne, sans nous soucier de savoir si nos orteils toucheront ou non le fond.

Néanmoins, cette irresponsabilité n’est qu’une petite partie du problème. Le véritable problème n’est autre que l’émergence d’une nouvelle classe d’intérêt économiques étrangers, gouvernée par la ploutocratie, une Église dominée par l’avidité, et une dynastie de politiciens. Et pendant que nous étions en train d’emprunter et de dépenser (ce que l’on appelle la “croissance”), ils étaient en train d’échafauder un système de corruption grossier, pire que n’importe quelle république bananière. La corruption était si répandue et éhontée que tout le monde haussait les épaules, acceptant le système, ou acceptant d’en faire partie.

Je sais qu’il est impossible de résumer en un seul article toute l’histoire, la géographie et la mentalité qui ont mis à genoux notre merveilleux petit bout de continent, et ont transformé l’une des plus vieilles civilisations du monde en risée de l’Europe, source d’inspiration de blagues faciles. Je sais qu’il est impossible de transmettre le désespoir et le sentiment d’impuissance croissant qui sous-tend les conversations que j’ai eues avec mes amis et ma famille au cours des derniers mois. Mais il est vital que j’essaye, parce que la déshumanisation et la diabolisation de mon peuple est en plein essor.

J’ai lu, stupéfait, un article d’une publication bien connue qui expliquait que la mafia savait comment traiter les gens qui ne paient pas leurs dettes, expliquant “qu’une batte de baseball pourrait être la solution pour résoudre l’éternel désordre grec”. L’article tentait de se justifier en introduisant une série de généralisations et de préjugés aussi inexacts que venimeux, à tel point que si l’on avait remplacé le terme “grec” par “noir” ou “juif”, l’auteur aurait été interpellé par la police et accusé d’incitation à la haine. (Je mets systématiquement les liens vers les sites que je cite, mais pour le coup, je n’ai pas l’intention de créer du trafic pour cette harpie)

Laissez-moi donc démystifier un peu la mythologie développée par certains médias.

Mythe n°1 : les Grecs sont paresseux

Cela résume en grande partie ce qui est souvent dit ou écrit par rapport à la crise. Selon cette thèse, l’éthique méditerranéenne du travail serait laxiste et expliquerait notre chute. Et pourtant les données de l’OCDE [en] montrent qu’en 2008, les Grecs ont travaillé en moyenne 2120 heures par an, soit 690 heures de plus que les Allemands, 467 heures de plus que les Britanniques et 365 heures de plus que la moyenne européenne. Seuls les Coréens travaillent plus longtemps que nous. De plus, les congés payés en Grèce sont en moyenne de 23 jours, soit moins que la plupart des pays de l’Union Européenne y compris le Royaume-Uni (28 jours) et l’Allemagne (30 jours).

Mythe n°2 : les Grecs partent trop tôt à la retraite

Le chiffre de 53 ans avancé comme âge moyen de la retraite en Grèce est tellement galvaudé qu’il en est devenu un fait. Ce chiffre provient en réalité d’un rapide commentaire [en] sur le site du New York Times. Il a depuis été répété par Fox News et dans d’autres publications.

La vérité, c’est que les fonctionnaires grecs ont la possibilité de prendre leur retraite après 17,5 années de service, mais avec une pension de moitié. Le chiffre de 53 ans n’est qu’une grossière moyenne entre le nombre de personnes qui choisissent effectivement cette option (la plupart du temps pour changer de carrière) et ceux qui continuent dans le service public jusqu’à obtenir le droit à une pension complète. En regardant les données d’Eurostats [en], on se rend compte que l’âge moyen de départ à la retraite était de 61,7 ans en 2005, soit plus que l’Allemagne, la France ou l’Italie, et plus également que la moyenne des 27 pays de l’Union Européenne. D’ailleurs, la Grèce ayant été forcée de rehausser l’âge minimum légal de départ à la retraite, ce chiffre est susceptible d’augmenter encore à l’avenir.

Mythe n°3 : la Grèce est une économie faible, qui n’aurait pas dû intégrer l’Union Européenne

Une des affirmations fréquemment adressées à la Grèce est que son adhésion à l’Union Européenne lui a été accordée grâce au sentiment que la Grèce est le “berceau de la démocratie”. Ce qui pourrait difficilement être plus éloigné de la réalité. En 1981, la Grèce est devenue le premier pays membre de la CEE après les six pays fondateurs. Membre de l’UE depuis 30 ans, la Grèce est classée par la banque mondiale [en] comme un “pays à haut revenus”. En 2005, la Grèce était classée 22ème pays mondial en termes de développement humain et de qualité de vie [pdf, en] – soit mieux que la France, l’Allemagne, et le Royaume-Uni. Pas plus tard qu’en 2009, la Grèce avait le 24ème plus haut ratio de PIB par habitant, selon la Banque Mondiale [en]. De plus, selon une étude de l’Université de Pennsylvanie [en], la productivité de la Grèce en terme de PIB réel par personne et par heure de travail serait plus haute que la France, l’Allemagne ou que les États-Unis, et même 20% plus élevée que celle du Royaume-Uni.

Mythe n°4 : le premier plan de sauvetage était censé aider le peuple grec, mais a échoué

Non, ce plan n’était pas destiné à aider la Grèce, mais plutôt à garantir la stabilité la zone euro, et surtout à gagner du temps. Il a été instauré afin d’éviter un autre choc financier du type Lehman Brother, à un moment où les institutions financières étaient trop faibles pour y résister. Selon l’économiste Stéphanie Flanders de la BBC [en] :

En d’autres termes, la Grèce semble être moins capable de payer qu’il y a un an, alors que le système, dans son ensemble, semble en meilleure forme pour résister à une défaillance. Acheter du temps a fonctionné pour l’Eurozone. Mais cela n’a pas fonctionné aussi bien pour la Grèce.

Si le plan de sauvetage avait vraiment été mis en place pour aider la Grèce, alors la France et l’Allemagne n’auraient pas insisté pour conserver de futurs contrats d’armements de plusieurs milliards d’euros. Comme Daniel Cohn-Bendit, le parlementaire européen et leader du groupe des Verts au Parlement l’explique [en] :

Durant les trois derniers mois, nous avons forcé la Grèce à reconduire plusieurs milliards de dollars de contrats d’armements. Des frégates françaises que les Grecs vont devoir acheter 2,5 milliards d’euros. Des hélicoptères, des avions, des sous-marins allemands.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mythe n°5 : le second plan est conçu pour aider la Grèce et va certainement réussir.

J’ai regardé la déclaration commune de Merkel et Sarkozy l’autre jour. Il était parsemé d’expressions telles que “les marchés sont inquiets”, “les investisseurs doivent être rassurés” et enrobé d’expressions techniques monétaristes. Ils ressemblaient à une équipe d’ingénieurs effectuant des ajustements mineurs à une sonde automatique sur le point d’être envoyée dans l’espace. Leur propos était dénué de tout autre sens que ce dont nous sommes en train de discuter : de l’extension de la misère à venir, de la pauvreté, de la douleur et même de la mort de la souveraineté d’un partenaire européen.

En fait, la plupart des commentateurs s‘accordent à dire [en] que ce second package a le même objectif que le premier : acheter du temps pour les banques, à grands frais pour le peuple grec. Il n’y a aucune chance que la Grèce puisse rembourser sa dette. Le défaut de paiement est inévitable [en].

Mythe n°6 : les grecs veulent le plan de sauvetage, mais pas l’austérité

C’est le mythe le plus tenace : les Grecs protestent car ils ne veulent pas du tout de plan de sauvetage. C’est une pure contre-vérité. Ils ont déjà accepté des restrictions budgétaires qui seraient aujourd’hui inacceptables au Royaume-Uni (imaginez la politique de Cameron… et multipliez la par 10).

Or, les résultats ne sont pas au rendez-vous depuis six mois. Les salaires de bases ont été réduits à 550 euros par mois. Ma mère, qui a bientôt 70 ans, a travaillé toute sa vie pour le département d’archéologie du ministère de la Culture, elle a payé ses impôts, la sécurité sociale et ses cotisations de retraite pendant 45 ans, et aujourd’hui sa pension a été diminuée à moins de 400 euros. Et comme le reste de l’Europe, elle doit faire face à la poussée inflationniste des prix des produits alimentaires et énergétiques.

Un bon ami de mon grand-père, Panagiotis K., s’est battu pendant la guerre il y a 70 ans, du même côté que les démocraties occidentales. Une fois revenu, il a travaillé pendant 50 ans dans un chantier naval, a payé ses impôts, a accumulé ses droits de retraite. A l’âge de 87 ans, il a dû retourner dans son village natal afin de pouvoir travailler son “pervoli” – un petit jardin arable – en plantant des légumes et en gardant 4 poules. Afin que lui et sa femme de 83 ans puissent, peut-être, avoir de quoi se nourrir…

Un médecin expliquait hier à Al-Jazeera que des infirmières sont tellement désespérées qu’elles demandent des pourboires (pots de vins ?) aux patients en échange de leurs soins, dans des hôpitaux pourtant gratuits. Ceux qui ne peuvent pas payer repartent vivre avec leur maladie, ou en meurent. Le serment d’Hippocrate est rompu par désespoir, à l’endroit même où il a été conçu.

Combat universel

Le combat des Grecs n’est pas un combat contre les coupures budgétaires : il n’y a plus rien à couper, le couteau du FMI a déjà saigné le pays à blanc, jusqu’aux os perclus d’arthrite. Les Grecs comprennent juste qu’un second plan de sauvetage n’est rien d’autre qu’un coup de pied dans une canette vide qui traine dans un caniveau. Ils comprennent aussi que le budget primaire de la Grèce n’est en fait dans le rouge que de 5 milliards d’euros. Les 48 milliards d’euros restants correspondent au service de la dette, incluant entre autres les intérêts du premier plan de sauvetage (qui correspondent à un tiers du plan). L’Union Européenne, la BCE, le FMI veulent maintenant ajouter une nouvelle dette au dessus sur la pile déjà existante, tout simplement pour honorer le paiement des intérêts de l’année suivante.

Les Grecs ont compris le jeu. Et ils disent : « Trop c’est trop, gardez votre argent ».

Mon pays a toujours attiré des occupants belliqueux. Sa position géographique stratégique combinée à une beauté naturelle et historique attise les convoitises. Mais nous sommes tenaces. Nous avons émergé après 400 ans d’occupation ottomane, 25 générations sous lesquelles notre identité a été interdite, sous peine de mort. Mais notre langue, nos traditions, notre religion et notre musique sont restés intacts.

Ma sœur est allée manifester sur la place Syntagma, elle me raconte que ce qui se passe est beau, rempli d’espoir, et glorieusement démocratique. Une foule totalement non-partisane de centaines de milliers de personnes a occupé la place devant le Parlement. Ils se partagent le peu de nourriture et de boissons qu’ils ont. Un micro est à disposition, et n’importe qui peut y parler pour quelques minutes – et même proposer un vote à main levée. La citoyenneté, en somme.

Et voici ce qu’ils disent :

Nous ne souffrirons pas plus longtemps pour que les riches puissent devenir plus riches encore. Nous n’autorisons aucun politicien – ils ont si spectaculairement échoué - à emprunter plus d’argent en notre nom. Nous ne leur faisons pas confiance à eux ni à ceux qui nous prêtent cet argent. Nous voulons de nouveaux représentants responsables à la barre, pas ceux qui sont viciés par les fiascos du passé. Ceux-là sont à court d’idées.

Où que vous soyez dans le monde, leurs propos s’appliquent.

La monnaie est une marchandise inventée pour aider les gens, en facilitant les transactions entre eux. Ce n’est pas une richesse en elle-même. La richesse, ce sont les ressources naturelles, l’eau, la nourriture, le territoire, l’éducation, les talents, l’esprit, l’ingénierie, l’art. À ce titre, le peuple grec n’est pas plus pauvre qu’il ne l’était il y a deux ans. De même que le peuple espagnol, irlandais ou britannique ne sont pas plus pauvres.

Et pourtant, nous souffrons tous à des niveaux différents, juste pour que certaines sommes (qui représentent de l’argent qui n’a jamais vraiment existé) soient transférées d’une colonne à une autre d’un bilan comptable.

C’est pourquoi l’enjeu en Grèce vous concerne aussi : parce qu’il s’agit d’un combat pour notre droit à l’auto-détermination, de demander de nouveaux processus politiques ; notre droit à la souveraineté contre les intérêts d’entreprises privées qui nous traitent comme du bétail pour leur propre bénéfice. C’est un combat contre un système qui fait en sorte que ceux qui font le mal ne soient jamais punis, alors que les plus pauvres, les plus décents, ceux qui travaillent le plus, sont ceux qui supportent le fardeau.

Les Grecs disent non à tout cela. Et vous, que dites-vous ?


Article initialement publié sur le blog de Alex Andreou

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Traduction : Stanislas Jourdan

Retrouvez notre dossier sur la crise grecque :

La BCE fait obstruction à la démocratie

#g(r)eekrevolutionDebtocracy, le documentaire qui secoue la Grèce

La BCE, donjon vacillant de l’Europe

Debtocracy, le documentaire qui secoue la Grèce

Image de Une : Marion Boucharlat

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“Debtocracy”, le documentaire qui secoue la Grèce http://owni.fr/2011/06/09/debtocracy-documentaire-choc-grece/ http://owni.fr/2011/06/09/debtocracy-documentaire-choc-grece/#comments Thu, 09 Jun 2011 06:28:31 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=66660
Cette interview a été initialement publiée sur OWNI.eu le 6 mai dernier. Suite à la publication de la version sous-titrée en français du documentaire, nous publions aujourd’hui la traduction française.

Né à Athènes, Aris Hatzistefanou, 34 ans, est un journaliste à toute épreuve depuis ses plus jeunes années. Journaliste en Palestine, puis à Londres pour la BBC, son émission de radio “infowar” sur la station grecque Sky Radio, très écoutée, fut arrêtée quelques jours seulement avant la publication du documentaire Debtocracy, dont le message est à contre-courant de la pensée dominante.

Ce projet a attiré l’attention de plus d’un million de personnes en Grèce, et a popularisé une campagne nationale demandant une commission d’audit de la dette publique du pays. OWNI s’est entretenu avec l’homme derrière ce subversif documentaire qui secoue l’opinion grecque, dans une période très difficile pour le pays.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Quelle est l’histoire de Debtocracy ?

L’idée nous est venue après une émission sur Sky Radio sur la manière dont le président équatorien avait géré la dette colossale du pays : il mis en place une commission chargée d’auditer la dette souveraine du pays, et arriva à la conclusion que d’autres pays étaient en train d’utiliser l’Équateur comme un “esclave”, tout comme l’Argentine et d’autres pays avant lui. Par conséquent, le gouvernement équatorien força les créanciers à subir un « haircut » [des pertes, ndlr] de 70%.

Dans le même temps, en Grèce, des gens étaient en train de lancer une initiative similaire, et recherchaient du soutien pour cela. Du coup, mon émission sur Sky Radio entrait en écho avec leur discours. Et beaucoup de gens semblaient se demander si nous pouvions faire la même chose en Grèce.

Katerina Kitidi (éditrice en chef de TV XS) et moi nous sommes alors décidés à produire ce documentaire. Mais nous n’avions pas d’argent, et ne voulions surtout pas demander des financements auprès d’un quelconque parti politique, syndicat, entreprise, ou pire, une banque. Nous avons alors eu l’idée de demander aux gens de nous aider en lançant une campagne de crowdfunding.

Et cela a très bien marché ! Nous avons récolté 8.000 euros en seulement dix jours, ce qui est pas mal du tout en Grèce, surtout dans le contexte actuel.

Au début, ce projet était censé n’être qu’une vidéo de plus sur YouTube ! Mais comme beaucoup de gens nous ont proposé leur aide (des professionnels de l’audiovisuel notamment), et que beaucoup de gens nous ont aidés financièrement, nous avons pu réaliser un véritable documentaire. À un moment, nous avions même tellement de dons que nous avons décidé d’investir dans la promotion du film, ce qui n’était pas prévu.

Alors que ce projet avait été initié par deux personnes, environ quarante personnes ont contribué au final.

Katerina Kitidi et Aris Hatzistefanou.

Comment le film a été reçu en Grèce ?

Nous avons eu plus d’un demi-million de vues en moins d’une semaine, et nous sommes aujourd’hui à plus d’un million. Mais en dépit de ce succès, les média grecs n’en touchèrent pas un mot au début. Puis, quand ils ont vu le succès du film, ils ne pouvaient plus faire comme si nous n’existions pas. Il sont alors commencé à nous critiquer et à tenter de nous décrédibiliser. Jusqu’à présent, aucune chaine de télévision n’a parlé de nous, même négativement.

En fait, le jour où ils le feront, c’est que nous aurons gagné.

Quel est le message que vous voulez faire passer avec ce documentaire ?

Nous défendons le point de vue que la situation actuelle n’est qu’une partie d’un problème bien plus global, notamment lié au problème de l’euro. Parce que l’euro est divisé entre son cœur et la périphérie, nous sommes condamnés à souffrir de pertes de compétitivité face à l’économie mondiale, car nous ne pouvons pas dévaluer notre monnaie.

Je ne nie pas que nous avons notre propre part de responsabilité. Le problème de la Grèce est que notre fiscalité ne s’est pas adapté au modèle d’État-providence que nous avons mis en place : les entreprises ne sont pas assez taxées, les déficits ne sont donc pas contrôlés. Nous avons aussi un grave problème de corruption, mais cela reste un détail : nous pourrions mettre tous les politiques en prison, mais qu’est-ce que cela changerait ?

Bref, ce qui se passe actuellement ne peut pas être totalement de la faute des “PIIGS”, comme ils nous appellent.

Nous disons aussi que le modèle allemand n’est pas un modèle à suivre. Ils ont simplement gelé les salaires depuis dix ans ! Ce n’est pas soutenable pour l’ensemble de l’Europe !

Certains disent que votre point de vue n’est pas impartial. Que leur répondez-vous ?

Tout d’abord, nous n’avons jamais prétendu être mesurés. C’est même plutôt l’inverse, puisque nous pensons que nos contradicteurs ont largement eu le temps et l’espace médiatique pour faire valoir leur position. D’ailleurs, leur position n’est pas vraiment équilibrée non plus…

Certains critiquent aussi le fait que l’Équateur n’est pas un bon exemple, car c’est un pays en voie de développement qui a du pétrole. Mais le pétrole ne représente que 25% du PIB de l’Équateur, et nous, nous avons nous aussi en Grèce notre propre pétrole : le tourisme.

Après, on aurait pu prendre n’importe quel autre pays comme exemple, il y aurait toujours des gens pour dire que « comparaison n’est pas raison », même si le contexte est tout de même similaire, avec une spirale d’endettement et l’intervention du FMI. Mais au final, ils essaient juste de faire dériver la conversation afin de ne pas répondre au principal sujet de ce film : la nécessité de créer une commission d’audit de la dette.

À votre avis, que devrait faire la Grèce aujourd’hui ?

C’est clair que la Grèce ne peut repayer sa dette, que celle-ci soit légale ou pas, et quel que soit son montant et son taux d’intérêt. Plus de 350 milliards de dettes, c’est déjà trop. Très ironiquement, les marchés semblent plus lucides que le gouvernement, qui continue de dire que l’on peut trouver l’argent. Mais les marchés ne sont pas stupides. Les plans de sauvetage n’ont en vérité qu’un seul objectif : sauver les banques françaises et allemandes, qui tomberaient si la Grèce faisait banqueroute.

Donc, de notre point de vue, nous ne devrions rien attendre des décideurs européens. Si nous attendons, il sera trop tard pour prendre les mesures nécessaires. Nous devons donc trouver nous même des solutions, et lancer des initiatives.

Une fois que cela est dit, la première chose que nous devons faire et de mener un audit de la dette grecque, de manière à discerner la dette légale de celle qui ne l’est pas. Un certain nombre d’indices tendent à montrer qu’une grande partie de la dette est odieuse, voire illégale. Mais seule une commission d’audit saurait le démontrer. C’est pourquoi nous soutenons complètement cette initiative, même si nous soulignons l’importance que cette commission soit menée de manière transparente et démocratique. Pas par les parlementaires.

Après, nous sommes plus radicaux que d’autres dans nos propositions car nous pensons que nous devrions stopper le remboursement de la dette, quitter l’euro, et nationaliser le secteur bancaire. Ce n’est pas quelque chose de facile à défendre, car cela parait très radical, mais même certains économistes et hommes politiques commencent aussi à étudier ces options.

Nationaliser les banques peut sembler être une proposition communiste, mais j’y vois plutôt du pragmatisme : il faut protéger le pays d’une éventuelle fuite des capitaux vers l’étranger, dans le cas où nous quittons l’euro.

Avez-vous des liens avec d’autres initiatives de ce type en Europe ?

Nous avons été contactés par de nombreux groupes, notamment pour que nous traduisions le documentaire. Ce qui est désormais chose faite. Mais nous ne collaborons pas vraiment avec eux en tant que tel, nous leur permettons simplement de réutiliser notre travail, qui est sous licence Creative Commons.

Comment voyez-vous l’avenir de la Grèce ?

L’année dernière, il y a eu plusieurs soulèvements contre le plan de sauvetage du pays, mais les citoyens sont très découragés depuis. Pendant les dix dernières années, l’opposition n’a jamais rien proposé qui puisse rassembler l’opinion publique. Certains pensent que les grecs se font une raison, mais je sens que l’indignation est toujours bien là, sous nos pieds. Elle n’attend qu’un nouveau prétexte pour être ravivée.

Il est intéressant de noter qu’aucun parti politique n’a le contrôle des mouvements de protestation, et que personne ne guide ce mouvement. Je redoute donc que la situation ne s’enflamme de nouveau, d’une manière violente. Mais il est impossible de prévoir quand et pourquoi.

Quelle est la suite pour Debtocracy ?

Grâce à toutes les personnes qui nous ont soutenus, nous avons collecté plus d’argent que nécessaire pour la production du film. Nous avons donc décidé de créer un compte spécial pour que les gens déposent leurs dons. Si nous n’utilisons finalement pas cet argent pour un nouveau projet dans les six mois, les donateurs seront remboursés.

Franchement, nous ne nous attendions pas à un tel succès avec si peu de moyens. Ce n’était pas facile, mais nous nous sommes prouvé que nous pouvions faire de grande choses avec peu de ressources, surtout quand vous êtes entourés de personnes talentueuses.

Internet nous a beaucoup aidés, mais nous voyons aussi les limites de l’outil. Nous devons aujourd’hui aller à la rencontre de ceux qui ne sont pas forcément sur Internet, notamment à l’extérieur d’Athènes. Si nous n’étions que sur Internet, notre approche resterait trop élitiste. C’est pourquoi nous envisageons de distribuer des DVD et d’organiser des projections dans des théâtres ou des cinémas.

Nous voulons vraiment aller plus loin, faire face aux tabous des médias mainstream grecs. Aujourd’hui, si les gens ne participent pas eux-mêmes à la production de l’information, il n’y aura jamais aucune entreprise de média prête à leur donner la parole.


Crédit photo : Debtocracy

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La dette américaine, pilier vacillant d’une finance mondiale aux abois http://owni.fr/2011/06/06/dette-americaine-pilier-vacillant-dun-systeme-financier-mondial/ http://owni.fr/2011/06/06/dette-americaine-pilier-vacillant-dun-systeme-financier-mondial/#comments Mon, 06 Jun 2011 08:31:37 +0000 François Leclerc & Paul jorion http://owni.fr/?p=66139 Le 16 mai dernier, la dette publique américaine a atteint son plafond, fixé par le législateur aux États-Unis. N’ayant pu obtenir du Congrès qu’il augmente ce maximum actuellement fixé à 14.294 milliards de dollars, le Trésor US avait auparavant annoncé être en mesure de jouer les prolongations jusqu’au 2 août prochain, dernier délai, en stoppant certaines opérations afin de pouvoir poursuivre ses émissions obligataires sans augmenter le déficit net.

Histoire de permettre aux élus démocrates et républicains, qui s’opposent très durement sur ce sujet, de parvenir à un compromis sur un ensemble de mesures permettant une réduction du déficit. En les adjurant même d’y parvenir, en raison des conséquences incalculables qu’un défaut de l’État fédéral sur sa dette pourrait avoir. à cet effet, une commission « bipartisane » de parlementaires siège sous la présidence de Joe Biden, le vice-président américain. Ce qui était ces dernières années pure routine – une négociation au finish assortie à chaque fois d’un accord de dernière minute – n’est cependant pas garanti d’être renouvelé dans le contexte actuel.

Les républicains à l’offensive

Le décor ne serait en effet pas entièrement planté sans la toile de fond des prochaines élections présidentielles, en novembre 2012 prochain. Suite aux élections de mi-mandat de novembre dernier (les “midterms”), les républicains sont en effet devenus majoritaires à la Chambre des représentants et entendent désormais pousser leur avantage afin d’empêcher à tout prix Barack Obama d’accomplir un second mandat. La bataille politique est féroce, dans le contexte d’une crise sociale rampante. La polarisation est extrême, certaines composantes de l’opposition républicaine s’exprimant avec une rare violence verbale, avec pour celle-ci le handicap de ne pas pouvoir rassembler pour l’instant pour les primaires du parti républicain une liste crédible de candidats potentiels à la présidence.

Réduire le déficit, mais comment dans ce contexte de surenchères républicaines ? Ces derniers n’y vont pas par quatre chemins et, fidèles à leur credo de toujours, réclament que l’État poursuive sa cure d’amaigrissement, en coupant dans le programme Medicare d’assurance-santé des plus âgées et démunis, et en diminuant les impôts. Recette magique garantissant selon eux une amélioration des affaires, et donc de l’emploi. De leur côté, les démocrates n’entendent pas toucher à Medicare et considèrent que couper dans les dépenses ne réglera pas le problème si les recettes fiscales ne sont pas également augmentées. Ils proposent de supprimer les plafonnements d’impôts pour les revenus les plus élevés institués sous l’administration Bush, et revenir sur les avantages fiscaux accordés aux compagnies pétrolières qui croulent sous les bénéfices.

Il s’agit en effet de trouver rien moins que 2.400 milliards de dollars minimum d’économie afin de tenir jusqu’à la fin 2012 si l’on ne veut pas augmenter la dette, le déficit devant atteindre 1.600 milliards de dollars cette année. Les positions en présence sont diamétralement opposées et rendent difficile de prédire une issue à des négociations qui se poursuivent à un rythme très soutenu. Le 1er juin dernier, Barack Obama recevait des dizaines de parlementaires républicains à la Maison-Blanche, dans une mise en scène destinée à montrer sa bonne volonté et son écoute. Il avait auparavant mis en garde, au cas où un accord ne pourrait pas être trouvé :

Nous pourrions subir une récession encore plus grave que celle que nous venons de traverser. Une crise financière mondiale plus grave encore.

Peut-on être certain que cet alarmisme n’était fait que de calcul ?

La fin programmée du rêve américain

L’affrontement politique tient le devant immédiat de la scène. Mais le pire se présente derrière, annonçant pour qui veut l’avouer la fin du « rêve américain », car un ressort et ciment de la société est brisé, quoi qu’il se passe le 2 août prochain. Une machine a été cassée, à la réparation improbable, qui permettait de suppléer par l’endettement la baisse des revenus des classes moyennes afin de préserver leur niveau de vie et mode de consommation. Les innombrables saisies des maisons et la persistance d’un niveau très élevé de chômage illustrent la nouvelle donne.

La longue audition de Robert Reich, ancien secrétaire d’État au Travail sous l’administration Clinton et professeur à l’université de Berkeley, qui eut lieu le 12 mai dernier devant la commission sur la santé, l’éducation et le travail du Sénat est à cet égard très éloquente. Revenant sur l’histoire du pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a montré comment s’est constitué puis a été ensuite brisé le cercle vertueux qui a durant une longue période assuré une croissance économique reposant sur le plein emploi et la rémunération des ouvriers d’un côté, l’augmentation de la production et de la consommation de l’autre. Le tout contribuant au développement d’une classe moyenne numériquement importante.

Il voit cette ère de grande prospérité prendre fin en 1977, suite à la détérioration progressive de la situation de la classe moyenne américaine. Attribuant celle-ci à la baisse de la rémunération du travail, amenant les femmes à travailler afin d’apporter un second salaire et voyant les horaires de travail augmenter, tandis que les crédits publics affectés à l’éducation, à la santé, à l’aide des chômeurs et à la protection sociale diminuaient, et l’endettement des ménages augmenter afin de maintenir un niveau de vie menacé. On connaît la suite.

Des précurseurs aux « indignés » européens

Les Américains en font quotidiennement l’expérience, qui constatent désormais que l’Amérique est un pays de pauvres où vit une petite minorité de très riches et une classe moyenne dont les moins favorisés sont en voie de paupérisation. Avant les Portugais, les Espagnols et les Grecs, ils ont eu leurs « indignés ». C’était en mars dernier, à Madison, capitale du Wisconsin. Des dizaines de milliers de manifestants ont défilé durant des jours et des jours dans les rues, afin de s’opposer à un projet de loi du nouveau gouverneur républicain de l’État, qui voulait limiter les droits des syndicats des fonctionnaires, avec le projet de réduire leurs pensions pour diminuer le déficit de l’État. Car le problème du déficit public se pose aussi au niveau local, et dans certains cas de manière cruciale. Le marché des « munis », les obligations émises pour se financer par les différentes autorités locales américaines, dont les États, est également atteint.

Finalement adoptée le 10 mars dans des conditions rocambolesques par les représentants républicains de l’État barricadés dans le parlement, après que les démocrates eurent quitté l’État pour que le quorum ne soit pas atteint et furent recherchés par la police pour les ramener manu militari, la loi vient d’être annulée par un juge. Mais une démonstration de cette ampleur et avec une telle détermination, c’est du jamais vu dans l’histoire américaine récente ! L’affaire n’est pas finie, non seulement parce que le gouverneur a fait appel de la décision, mais parce que la situation financière des États américains, souvent désastreuse, va inévitablement aboutir à la mise en cause des pensions des employés de l’État, enseignants, personnels de santé, pompiers et policiers, etc.

Moins spectaculaire mais tout aussi parlant, une candidate démocrate vient d’être à sa grande surprise élue à la Chambre des représentants dans une circonscription de l’État de New York habituée à donner ses votes aux républicains. Pour y parvenir, Kathy Hochul a tout simplement fait campagne en faveur du maintien de Medicare et sur la nécessité de maintenir les protections destinées aux personnes âgées.

À nouveau, la stagnation économique menace

Rien dans la conjoncture économique américaine n’est source d’optimisme. Selon le Département du Commerce, la croissance américaine continue de décroître de trimestre en trimestre, passant de 3,1% au dernier trimestre 2010 à 1,8% au premier trimestre 2011. Est particulièrement en cause la baisse de la consommation des ménages, le moteur de la croissance américaine. En tenant compte de l’inflation, elle n’a progressé que de 0,1% en avril dernier, à l’identique de mars.

Plus mal vécu encore à Wall Street, les nouvelles inscriptions au chômage sont reparties à la hausse, selon le Département du Travail. Déjouant les prévisions, les embauches ont considérablement ralenti en mai, et le taux de chômage officiel est remonté de 0,1 point, progressant à 9,1%. Un taux considéré par de nombreux analystes comme très minoré par rapport celui du chômage réel. Avec un taux de croissance de 2,2% sur les quatre derniers trimestres, il ne peut en tout état de cause pas être résorbé.

Enfin, après avoir connu un plateau, le prix de l’immobilier est reparti à la baisse, pour retrouver aujourd’hui son niveau de 2002. Quant au marché immobilier commercial (grandes surfaces commerciales, hôtels, etc.), il rencontre également de grandes difficultés, annoncées pour s’aggraver l’an prochain. Le fonds d’investissement Whitehall, filiale de Goldman Sachs, vient ainsi de restructurer la dette d’un de ses plus gros portefeuilles hôteliers grâce à un apport de l’Abu Dhabi Investment Authority, le fonds souverain de l’Émirat. Ce n’est que le début d’une longue série de refinancements qui s’annonce.

Le spectre d’un « double dip » – une rechute de la croissance qui était repartie – avait été évacué, mais il réapparaît et la bourse en fait à nouveau les frais après avoir connu une embellie du à l’abondance des liquidités distribuées par la Federal Reserve.

Dans sa causerie hebdomadaire du samedi à la radio et à la télévision, Barack Obama a reconnu que l’économie devait affronter « de forts vents contraires ».  dont l’origine serait selon lui à trouver dans le prix élevé de l’essence, le séisme au Japon et la situation financière européenne… N’ayant pas de remèdes à proposer pour les contrarier, il a faute de mieux terminé par une péroraison : « Nous sommes un peuple qui n’abandonne pas, nous faisons de grandes choses, nous façonnons nos destinées. Et je suis persuadé que si nous conservons cette état d’esprit, le meilleur est devant nous. »

Le spectre d’une seconde crise

Les milieux financiers américains ont publiquement fait part de leur profonde inquiétude à propos de la perspective d’un défaut sur la dette. Fait sans précédent, le Comité consultatif du Trésor pour les questions d’emprunt (TBAC), qui regroupe les dirigeants des principales mégabanques et fonds d’investissement intervenant sur le marché de la dette, a pris sa plume pour écrire à Tim Geithner, le secrétaire d’État au Trésor. « Les risques qu’un défaut de paiement ferait peser à long terme sont si élevés que tout retard dans le relèvement du plafond de la dette est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur les marchés, bien avant que le dit défaut ne se produise réellement. » Précisant en mettant les points sur « i » que cela pourrait déclencher « une autre crise financière catastrophique, après celle de 2007-2009 dont le monde ne s’est pas encore remis. »

Avant même la date butoir redoutée du 2 août prochain, la fin du mois de juin est attendue par les analystes financiers américains. Vient en effet à cette date à échéance le programme de la Federal Reserve d’« assouplissement quantitatif », lui ayant permis par le biais d’une création monétaire intense (la planche à billet) d’acheter pour 600 milliards de dollars d’obligations publiques américaines et de maintenir les taux de celles-ci à un faible niveau.

Que va-t-il alors se passer sur le marché obligataire ? À quel taux le Trésor va-t-il placer ensuite ses émissions, leur principal  acheteur faisant défaut, s’il ne relance pas un nouveau programme d’achat ? À l’occasion d’une audition devant le Sénat, Tim Geithner a affecté une sérénité toute professionnelle  :

Le monde perçoit toujours les États-Unis et le système politique américain comme étant à la hauteur pour faire aboutir des réformes, renforcer l’économie et revenir à une situation budgétaire plus viable. Ajoutant, pour remporter l’adhésion : Si vous regardez le coût auquel nous empruntons aujourd’hui, vous voyez qu’il y a toujours une confiance énorme dans le monde dans la capacité de ce système politique.

Les analystes financiers, tout en reconnaissant l’absence de tension actuelle sur le marché, sont plus perplexes. L’arrêt des achats de la Federal Reserve et de la distribution abondante de liquidités pourrait créer des situations de retournement rapide sur les marchés des actions et des matières premières, et affecter également le crédit. Mais si, de surcroît, les acheteurs américains de la dette se mettaient à la bouder – comme le principal d’entre eux, le fonds d’investissement Pimco, a annoncé le faire – une augmentation des taux obligataires et du coût de la dette deviendrait inévitable. La conjonction d’une telle situation avec un défaut sur cette dernière, au cas où aucun accord ne serait possible au Congrès, pourrait créer un véritable séisme.

Dans l’immédiat, les investisseurs ont réagi différemment, prenant à contre-pied ceux qui ont cru devoir anticiper une hausse des taux obligataires et la baisse correspondante de leur valeur faciale. Réagissant au tir groupé d’exécrables nouvelles économiques qui vient d’intervenir, ils se sont malgré tout réfugiés sur le marché de la dette obligataire, aboutissant à son soutien. Entre deux maux, il faut choisir le moindre.

Les pressions sont fortes sur la Federal Reserve pour que ne soit pas lancé un nouveau programme d’« assouplissement quantitatif » avec pour objet de poursuivre les achats d’obligations du Trésor. La tentation est grande pour ses dirigeants de renvoyer la balle au gouvernement, à la manière de la Banque Centrale Européenne qui multiplie les pressions pour que les gouvernements multiplient les mesures de réduction des déficits publics. Ben Bernanke, son président, paraît même y avoir succombé, au nom de la lutte contre l’inflation qu’une relance de la planche à billet pourrait favoriser et dont les milieux d’affaire ne veulent à aucun prix, car elle éroderait leurs avoirs. Mais ce n’est peut-être que partie remise, si le ralentissement économique se confirme et se poursuit. Plus souterraine, une autre bataille non moins décisive se poursuit parallèlement à celle qui se déroule au Congrès.

Il n’y a plus d’échappatoire

Le relèvement in extremis du plafond de la dette, à la faveur d’un compromis sans lendemain entre les démocrates et les républicains, ainsi que l’attentisme de la Federal Reserve sont l’hypothèse la plus probable, car elle permettait de différer encore des choix douloureux de tous côtés. Pour définir sa ligne de conduite,  la Federal Reserve est ballottée entre le risque de l’inflation et celui de la stagnation. Si les deux devaient intervenir simultanément, les États-Unis entreraient en stagflation, suivant en cela les Britanniques qui semblent s’y diriger.

Au-delà de la bataille permanente à propos de la réduction du déficit budgétaire qui va se poursuivre ces prochains mois, l’évolution de la structure de la dette est une donnée alarmante. La maturité moyenne de la dette se raccourcit, rendant celle-ci plus sensible à une augmentation des taux, car devant plus vite être « roulée », c’est-à-dire refinancée par de nouvelles émissions. Une rapide augmentation du service de la dette pourrait en résulter, pesant encore plus sur le budget de l’État alors qu’il faut déjà réduire son déficit.

Depuis le temps qu’il est annoncé que les États-Unis ne pourront pas éternellement accroître leur gigantesque dette publique, l’administration américaine est sans conteste arrivée au moment où elle ne peut plus désormais tergiverser indéfiniment. Ne pas réduire le déficit reviendra à prendre le risque d’accélérer brutalement une chute du dollar qui contribuerait à précipiter une réforme du système monétaire international que les États-Unis veulent repousser au plus tard possible, car elle sanctionnerait la fin du statut privilégié du dollar et la possibilité de financer à bas prix leur déficit. S’y résoudre, malgré la difficulté de l’exercice et le contexte politique qui ne s’y prête guère, ce sera reconnaître sans attendre et sans plus de manières la fin du rêve américain et sanctionner le déclin irréversible de la première puissance mondiale.

Il n’y a plus d’échappatoire. Aucun de ces deux choix possibles n’est exaltant, les deux sont porteurs d’une accentuation de la crise sociale et de la dégringolade des classes moyennes. Seule la Federal Reserve pourrait retarder ce choix en relançant la planche à billet, mais à quel prix ? L’inflation n’est plus une solution acceptable pour un monde financier qui en serait la première victime et en craint les effets, ni pour tous les détenteurs d’avoirs en dollars, car le pouvoir d’achat de ceux-ci seraient rogné.

Public et privé dans le même panier percé

Aux États-Unis comme en Europe, la crise de la dette publique rejoint celle de la dette privée. Les deux s’additionnent et ne font qu’une en raison de leur étroite interconnexion, expression d’un système au bout de son rouleau. L’accroissement brutal de la dette publique ayant comme principale origine les effets de sa crise, débutée en 2007 et dont il ne parvient pas à sortir. L’hypertrophie du système financier le condamne sans rémission, car cette dette gigantesque sur laquelle il est bâti n’est ni remboursable ni extensible à l’envi et crée une grande instabilité structurelle, telle une pyramide reposant sur sa pointe.

La Federal Reserve a acheté 2.000 milliards de dollars de bons du Trésor et d’obligations hypothécaires, sans compter celles dont Fannie Mae et Freddie Mac sont gorgées. Jusqu’où est-il possible de ne pas aller ? L’agence de notation Moody’s vient de frapper deux des trois coups. Dans un premier temps, elle a menacé d’abaisser la note des trois principales banques américaines – Citigroup, Bank of America et Wells Fargo – car elles risquent selon elle de ne plus bénéficier dans l’avenir d’un même soutien du gouvernement. Dans un second, elle a annoncé « placer la dette de l’État fédéral américain sous surveillance, en vue d’un éventuel abaissement en cas d’absence de progrès sur le relèvement du plafond de la dette dans les semaines à venir ». Les banques centrales, heureusement pour elles, ne sont pas soumises à la notation…

Ce qui est en cause aux États-Unis et déborde de ses frontières, c’est l’affaiblissement du dollar et des obligations d’État, car celles-ci sont l’actif refuge par excellence du système financier, le collatéral de dernier ressort. Ne plus pouvoir compter sur celles-ci comme pilier, c’est perdre un point d’appui que rien ne peut remplacer, aboutissant à déséquilibrer encore l’ensemble du système.

La crise de la dette US est américaine par ses causes, mondiale par ses effets.


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