OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Quand le web tue la frustration http://owni.fr/2011/04/19/quand-le-web-tue-la-frustration/ http://owni.fr/2011/04/19/quand-le-web-tue-la-frustration/#comments Tue, 19 Apr 2011 07:41:10 +0000 xochipilli http://owni.fr/?p=34580 Nos processus non conscients font l’essentiel du boulot -décider, bouger, ressentir, percevoir, juger, croire etc. Notre conscience planifie en amont et refait l’histoire après coup, mais sur le moment elle se contente de résister aux mille et une tentations qui s’offrent à chaque instant. Mais comment fait-elle ?

La récente crise américaine a montré à quel point nous résistons difficilement aux tentations de la consommation à crédit. La nature ne nous a pas dotés d’un système mental spontanément capable de refuser des gratifications immédiates -s’acheter une maison, consommer des sucreries ou fumer une cigarette- au nom des conséquences futures, financières, médicales ou autres. Il faut croire que ce genre de stoïcisme n’avait pas une grande utilité adaptative pour les premiers hominidés, trop heureux de manger tout ce qui leur tombait sous la main.

A défaut de l’inné, c’est donc grâce à l’apprentissage qu’il a fallu acquérir ce self-control.
Comme l’explique Antonio Damasio :

l’insuffisante éducation de nos processus non conscients explique par exemple pourquoi nous sommes si nombreux à ne pas réussir à effectuer ce que nous sommes censés faire en matière de régime alimentaire et d’exercice physique. Nous pensons que nous avons le contrôle mais ce n’est pas souvent le cas, les épidémies d’obésité, d’hypertension et de maladies cardio-vasculaires le montrent bien. Notre biologie nous incite à consommer ce que nous ne devrions pas, tout comme les traditions culturelles qui en proviennent et ont été façonnées par elle, ce qu’exploite la publicité. N’y voyons pas un complot. C’est naturel. Peut-être est-ce justement le lieu d’apprendre à se doter d’habiletés érigées en rituels.

Cette dernière phrase m’a donné à réfléchir. C’est vrai que les rites civils ou religieux ont en commun de toujours mélanger contraintes (une date et un rituel précis, un cadre vestimentaire particulier), plaisirs (un bon repas, un moment agréable) et frustrations (jeûne, interdits alimentaires ou horaires à respecter). Les rites participeraient-ils ainsi à notre apprentissage social de résistance à la tentation?

Trois exemples culturels où la frustration est un plaisir

Et si, plus généralement, l’art et la culture participaient de cet apprentissage grâce à leur part de “frustration plaisante” ? En y réfléchissant l’idée tient peut-être la route. Je vous ai parlé de la dopamine qui nous procure une délicieuse giclée de plaisir quand on résout une grille de Sudoku. En réalité, cette fameuse dopamine commence son travail au moment même où nous nous attaquons au problème. Le seul fait d’anticiper le plaisir de trouver nous fait déjà plaisir. Vous avouerez que c’est quand même un peu strange comme comportement. Ca me rappelle l’histoire du fou qui trimballe une énorme valise bourrée de trucs inutiles, juste pour le plaisir d’être soulagé quand il la pose par terre. C’est pourtant exactement ce qui se passe: on finit par prendre plaisir dans le seul fait de chercher la solution. Plus c’est difficile, meilleur c’est ! La frustration fait apparemment partie intégrante du plaisir du cruciverbiste.

Même mécanisme pour la sexualité, ou plus exactement pour l’érotisme qui en est la construction culturelle. Ben oui ! Qu’est-ce que l’érotisme si ce n’est l’art de dérober l’objet du désir en même temps qu’on le dévoile ? Comme pour les mots croisés, notre acculturation est telle qu’un déshabillé sexy nous fait bien plus d’effet qu’une nudité complète. Ici encore, le comble du raffinement sexuel passe par une subtile dose de frustration.

Troisième exemple : le plaisir musical dont je vous ai parlé dans ce billet. Dans un morceau de musique, une des manières classiques de créer l’émotion consiste à attirer l’oreille vers une conclusion qui se dérobe au dernier moment. En jazz, c’est flagrant. Tout l’art du solo consiste à différer la résolution d’une improvisation. Lorsqu’enfin le musicien conclut en revenant à la tonique, les applaudissements ressemblent à une forme de libération des auditeurs, après une longue attente. Même chose en littérature: qu’est-ce que Shakespeare nous aurait raconté si Hamlet avait tué son oncle dès le premier acte, des blagues Carambar ? Par définition, la construction littéraire consiste à retarder le plus longtemps possible un dénouement attendu. Une vraie histoire de sado-maso je vous dis ! Pour apprécier, le public doit être (légèrement) frustré dans ses attentes.

Internet : anti-frustration ou zapping permanent ?

Si les rituels et la culture traditionnelle semblent bien nous aider dans cette voie, la technologie fait exactement l’inverse : sa raison d’être est de nous simplifier la vie, de supprimer les contraintes et nous faire gagner du temps. Au lieu de nous habituer à tolérer une certaine frustration de nos envies, l’idéal technologique se trouve quelque part du côté de la disponibilité permanente, de l’instantanéité et de la gratuité. Avec la révolution numérique l’impatience a repris ses droits sur notre cerveau, que ce soit pour communiquer, suivre l’actualité ou trouver une info n’importe où, n’importe quand. Dans un fameux article de 2008 (Is Google making us stupid?), Nicholas Carr s’inquiète de l’impact d’un tel bouleversement sur nos habitudes mentales. Il est si gratifiant de cliquer sur un lien hypertexte pour obtenir une réponse, que l’on finit par ne plus lire autrement qu’en butinant superficiellement l’internet de site en site. L’internet a bouleversé nos habitudes de lecture au point que Nicholas Carr s’avoue incapable de lire un livre entier. Et il s’effare de voir sa capacité de concentration dégringoler dans un environnement saturé de sollicitations. Je ne sais pas vous, mais perso je ne rêvasse plus trop en attendant le métro, tant il est tentant de jouer avec mon smartphone. Comblés par les écrans interactifs, nous en deviendrions accros, comme ces rats de laboratoires qui s’administrent de la dopamine directement dans le cerveau en appuyant frénétiquement sur un levier.

Et c’est vrai qu’on considère souvent la génération Y – celle qui est née avec un écran dans les mains – comme incapable de rester longtemps concentrée sur une seule tâche (sauf un jeu vidéo bien entendu) tant elle a été biberonnée au zapping permanent. En revanche, ils ont développé une étonnante habitude de faire plusieurs choses en même temps, tchattant sur plusieurs conversations à la fois, tout en regardant la télé et en consultant Facebook. A défaut de patience, auraient-ils acquis le don du multitasking? Un tel recâblage neuronal serait d’autant plus surprenant que le cerveau humain est réputé ne pouvoir accorder son attention qu’à une seule chose à la fois.

Le mythe du multitasking

Pour essayer de comprendre comment ces jeunes geeks engrangent l’information et la mémorisent, des chercheurs de Stanford ont comparé leur performances cognitives avec celles d’individus un peu moins branchés. Dans une première tâche (celle de gauche ci-dessous) on leur présentait successivement deux images avec deux rectangles rouges entourés de plusieurs rectangles bleus. Les participants devaient ignorer les rectangles bleus et indiquer simplement si les deux rectangles rouges avaient changé de position entre les deux images. Lorsqu’il y a peu de rectangles bleus parasites, les geeks (HMM dans le graphique) sont aussi doués que les autres (LMM) mais leur performance s’écroule dès qu’il y en a beaucoup. Comme s’ils étaient incapables de ne pas prêter attention à ces motifs de distraction.

Source : Cognitive Control in Media Multitaskers [Pdf]

Que les geeks aient du mal à ne pas se laisser distraire, voilà qui ne surprendra personne. Les chercheurs se sont donc demandés s’ils avaient une meilleure mémoire de travail que les autres. On pourrait en effet imaginer que le multitasking requiert une bonne capacité mémoire pour pouvoir garder le fil de tout ce que l’on fait simultanément. Malheureusement les geeks multitâches s’avèrent moins bons que les autres à repérer les répétitions parmi une séquence de lettres qu’on leur présente (figure de droite). Ils s’emmêlent les pédales lorsque cette répétition est éloignée dans le temps et voient des répétitions là où il n’y en a pas (modalité “3-back” sur le graphe).

Bref, c’est le bazar dans leur tête. Les geeks sont-ils, au moins, doués pour passer rapidement d’une tâche à l’autre ? Même pas : lorsqu’on leur présente une combinaison d’une lettre et d’un nombre (2B par exemple) en leur demandant juste avant de classer soit le nombre (pair/impair) soit la lettre (voyelle/console), ils réagissent plus lentement et font plus d’erreurs que les autres, sans doute car ils ont du mal à s’abstraire de l’information parasite. Pour les chercheurs de Stanford, ils ont tellement l’habitude d’être attentifs à tout ce qui se présente à l’écran qu’ils ont du mal à prioriser la pertinence des alertes. Ils seraient du coup plus sensibles aux distractions (ce que confirme cette autre étude) et auraient plus de mal à focaliser leur attention uniquement sur ce qui a de l’importance.

Après des siècles de pratiques rituelles et culturelles passés à apprivoiser le sentiment de frustration, l’internet (et la pub) seraient-ils en train de saper notre fragile capacité de concentration et de résistance à la tentation ? Bon, si c’est ça, j’éteins mon ordi et je sors profiter du printemps. Sans mon portable !

Sources
Antonio Damasio, L’autre Moi-même
Science&Vie Junior (avril 2011) : un excellent article sur la manière dont internet reformate notre cerveau

Billets connexes
Synapses en do majeur (3): qui explique comment nos émotions musicales naissent de la légère violation de nos attentes.
Non-sens interdit (2) sur les délicieux effets de la  dopamine.
La tête ailleurs, sur la difficulté à résister à la tentation et à focaliser son attention sur plusieurs choses en même temps.

>> Article initialement publié sur le Webinet.

>> Photo Flickr CC PaternitéPas de modification par ryantron et AttributionNoncommercialNo Derivative Works Amaury Henderick

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It’s the internet, stupid http://owni.fr/2010/10/19/its-the-internet-stupid/ http://owni.fr/2010/10/19/its-the-internet-stupid/#comments Tue, 19 Oct 2010 10:53:39 +0000 Federica Cocco http://owni.fr/?p=31937 On today’s scaremongering menu: Is the internet making us stupid? To which one could naturally reply: when were we ever smart?

You must’ve heard this theory before, it has been on the airwaves for quite some time. It seems a study is released monthly proving that we are not neurologically equipped to adapt to new technologies, in fact these are atrophying our brain cells.

Most recently, Nicholas Carr – author of “What is the internet doing to our brains”, also known for his 2008 essay “Is Google making us stupid?” – spoke at last month’s World Computer Congress in Brisbane warning the audience of how “the internet, and social networking sites such as Twitter and Facebook in particular, are distracting and creating a society of disengaged communicators”.

Nicholas Carr is the most prominent information revolution naysayer, and describes the general process as he experienced it:

“Over the past few years I’ve had an uncomfortable sense that someone, or something, has been tinkering with my brain, remapping the neural circuitry, reprogramming the memory.”

The issue at hand is not just stupidy, as hard to define as it is, but the ability to concentrate. It seems new technologies, such as smartphones, laptops and iPads and the exigency to multitask online are making us unable to focus on one thing at a time. We are now, so they claim, unable to read a book, listen to a whole album, study, rest our brain and share a common experience, as with normal social relations. We can’t concentrate, we have no long-term memory and we can’t think for ourselves. In fact, we’re “outsourcing memory function and thought to Google and email” says columnist Leon Gettler.

According to New York Times technology reporter Matt Richtel – Pulitzer Prize winner for “Driven to distraction” an article exploring the risks on texting whilst driving – being permanently plugged-in encourages voluntary information overload. This is a byproduct of our new multitasking culture, in fact we’re now consuming “three times the amount of information we consumed in 1960″.

Microsoft has also released a study claiming that 9 out of 10 European youths, between the age of 16 and 24, tend to watch TV and surf the internet simultaneously. A 2009 study by Stanford University assessing the capability to concentrate on two groups of people labelled as “multitaskers” and “non-multitaskers” found that the first group failed on every intellectual account. The conclusion of the study was that “people who are regularly bombarded with several streams of electronic information do not pay attention, control their memory or switch from one job to another as well as those who prefer to complete one task at a time”.

According to University of California study, excessive smartphone use ends up depriving the brain of much needed downtime when plowing through emails, text messages, the news, Twitter, our Facebook wall, a TV program and whatever is happing around us.

These studies are quoted on Wired.com’s article “Help! My smartphone is making me dumb”, along with research paper on the cognitive effects of our digital culture on children [PDF]. The researchers reach an interesting conclusion:

“One can no more ask, ‘How is technology affecting cognitive development?’ than one can ask, ‘How is food affecting physical development?’. As with food, the effects of technology will depend critically on what type of technology is consumed, how much of it is consumed, and for how long it is consumed.”

Essentially, as long as you do something, anything, in moderation, you’ll survive. What I have classified as an alarmist thought is obviously based on neuroscientific truths, and as much as it is a useful omen of what is happening to our passive and subdued society, it is also an axiomatic argument that can easily be used and abused by luddites, who will effortlessly recycle it by making broad-brush indictments of digital technology and culture.

After all, the same alarm was given when TV and the written word were popularised. According to Socrates writing would make humans dependent on things external to the mind. Can you deny this has happened? Furthermore, one of the first detractors of multitasking was a Roman slave that went by the name of Publilius Syrus. He said: “To do two things at once is to do neither”. True? It depends. As Nicholas Carr himself pointed out, the invention of the mechanical clock has also revolutionised the way we organise ourselves as a society, as the “abstract framework of divided time became the point of reference for both action and thought.” The internet’s particular case in point is, however, different – because technology is creating new ways in which content can be consumed faster than our consumer brains can adapt.

The point is not whether the theory is right or not, but can you halt technological progress? The answer is you simply can’t. Unless we reach a point where we are so ‘deconcentrated’ that we have become intellectually unable to invent anything new. Assuming that’s the worst case scenario, it’s a win-win situation. What we have learnt from cultural shifts such as this one, is that brains are incredibly malleable, and they fail as easily as they succeed.

If you were to believe everything you read in the papers, the Internet itself would appear as a mass murderer. It’s killing intellectual property (conversely, intellectual property is killing the internet), our culture, privacy, newspapers, journalism, the music industry, the film industry, the porn industry, the economy, letter writing, your lunch break and much more. The massacre shall end, just as soon as the web dies too, as Chris Anderson – just as loftily as Nietzsche once proclaimed God was dead – announced this summer.

And now our mind. The only thing that seems to be still alive and kicking is chicken little tabloid journalism.

Credits CC Flickr by Zenonline, zipckr.

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Bombardement informationnel et musique http://owni.fr/2009/11/20/bombardement-informationnel-et-musique/ http://owni.fr/2009/11/20/bombardement-informationnel-et-musique/#comments Fri, 20 Nov 2009 11:57:24 +0000 Admin http://owni.fr/?p=5606 Sur Hi-Nu, Thibaut se fait l’écho d’une étude réalisée par l’université de Stanford, qui démontre que l’écoute de la musique en mode “multi-tache” peut poser problème »

Écouter de la musique devant un écran est devenu une situation quotidienne et très naturelle pour ceux dont l’ordinateur est le principal terminal d’écoute. Mais un ordinateur et son écran servent généralement à exécuter et à visualiser de nombreuses tâches en simultanées. De plus, sa connexion au web ajoute de nouvelles zones d’interactions entre site web, flux d’infos temps réel et amis connectés. Dans cette situation, nous faisons du “multi-tasking” (“multi-tache” en français), le fait de suivre plusieurs choses en même temps. Cela entraîne une mutualisation de l’attention et la musique, qui ne peut se lire transversalement comme un texte sur internet ou par intermittence comme une discussion ou un travail, nécessite une attention particulière. Mémoire, sensation, imagination, compréhension sont requissent afin de vivre une expérience moins superficielle.

Selon une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Stanford :”les personnes qui sont régulièrement bombardées d’informations électroniques en grande quantité sont moins concentrées, ont moins de contrôle sur leur mémoire et ont plus de mal à passer d’une tâche à l’autre que les individus qui préfèrent effectuer une tâche à la fois “. [slate]

Les yeux rivés sur l’écran et bombardés d’informations électroniques, l’échelle de temps et le régime de concentration semblent se modifier. L’écoute de la musique, de plus en plus dans cette situation, “parasitée” par d’autres informations, où elle se vide d’intérêt. En cela, le temps de la musique ne peut être compressé aux courtes séquences d’attention, car c’est encore l’artiste qui l’impose et le propose. Nous ne pouvons surmonter cela, et demander à la musique de s’adapter à notre temps ultra rapide ou l’on bascule entre une chose et une autre. La musique nous synchronise mais pas encore l’inverse.

» Article initialement publié sur Hi-Nu

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