Robots: idées, espoirs et défis

Le 22 avril 2011

Retour sur la conférence Robolift qui s'est tenue fin mars. Si les robots sont de plus en plus présents dans notre quotidien, ils soulèvent toujours autant de questions et parfois de controverses.

Billet initialement publié sur OWNI.eu

Robolift [en] a été une conférence magnifique. Pendant trois jours entiers, les robots ont occupé le devant de la scène et toutes ces sessions ont fini par dessiner une image cohérente, à partir des idées principales et des questions autour de ce qui sera un marché majeur du futur. Voici un récapitulatif des principaux points abordés.

Nous pouvons créer des relations affectives avec les robots

Je suis un humain. Parfois il y a des choses auxquelles je crois contre toute logique. Pour moi les robots devaient être des objets avec lesquels nous prenions nos distances. Plusieurs conférenciers ont montré à quel point c’est faux : le robot Paro [en] a été un des exemples les plus frappants. Utilisés avec les malades atteints d’Alzheimer, ce phoque robotisé établit des relations authentiques avec les personnes qui l’utilisent (voir cette vidéo [en] choisissez « PARO pour les patients en Italie »). Au-delà de ces usages spécifiques, de nombreuses conférences ont montré la façon dont nous échangeons avec les robots, que ce soit des enfants aidant leur Roomba à nettoyer le sol de leur salle de bain, ou des gens donnant des surnoms à leurs robots et les considérant comme des membres de leur famille.

Comme Alexandra Deschamps-Sonsino [en] l’a souligné durant la séance des questions-réponses, « les robots sont des objets, et nous passons notre vie à créer des liens affectifs aux objets. Vous vous sentez triste si vous cassez un vase offert par votre mamie. C’est la même chose avec les robots, vous êtes en deuil quand ils ne fonctionnent plus. » Les robots sont juste des objets habituels, ma sensibilité et ma culture ont créé une distance curieuse avec cette notion, mais on peut en effet être attaché à eux d’un point de vue affectif.

Les robots n’ont pas vraiment besoin de ressembler à des robots

Pour faire court : les mouvements et les attitudes jouent plus que la forme. Cela ressortait clairement après avoir vu une dizaine de vidéos, comme celles présentées par Fumiya Iida [en]. Ses robots imitent les mouvements des animaux, et il est frappant de constater à quel point cela suffit pour être touché et établir un rapport avec eux. Vous oubliez complètement que vous regardez une pièce de métal et commencez à faire plein de parallèles avec des créatures en chair et en os. Vous vous engagez davantage que lorsque vous regardez des robots humanoïdes qui échouent toujours à recréer efficacement l’aspect humain.

Les robots peuvent faire des choses étonnantes, et des choses stupides

Nous avons vu un robot lanceur de balles, et un robot qui aide les malades d’alzheimer. Nous avons vu Aibo [en] apprendre à reconnaître des objets avec plus ou moins de succès, et des robots qui se battent en Afghanistan. Les lois universelles de l’innovation s’appliquent à la robotique : la technologie est neutre. Ils sont ce que les gens font avec eux, dans leur diversité.

Les robots nous rendent plus sociaux et ils nous rendent moins sociaux.

Un autre domaine dans lequel les robots sont comme les autres technologies (= neutres). Cynthia Breazeal [en] nous a parlé de la façon dont un robot pouvait permettre à une grand-mère de lire une histoire à ses petits-enfants, et donc d’accroître notre sociabilité, rendant possible des échanges qui auraient été sinon plus compliqués, moins amusants, ou impossible.
Mais les robots peuvent également être perçus de façon négative. Nous avons vu des enfants jouer avec leur Roomba mais pas avec les autres enfants. Attendez-vous à ce que beaucoup de gens disent : « les robots nous rendent plus solitaires, nous allons cesser d’échanger avec les humains. » Comme d’habitude, la vérité est nuancée : parfois les robots vont nous permettre d’agrandir notre horizon social, parfois, ils nous feront choisir de communiquer avec une machine plutôt qu’avec d’autres humains proches de nous physiquement.

Des questions restent en suspens sur l’éthique et le droit

La robotique est semblable à l’Internet en 1995. Un espace pour les hackers et les pionniers, qui commence à être reconnu par le milieu du business, avec une poignée de succès à son actif. Le problème (à moins que ce ne soit l’opportunité… ?) est que le domaine est trop jeune pour être encadré juridiquement par les gouvernements qui savent à peine ce qui se passent.
C’est donc à ces pionniers de s’autoréguler. Et nous sommes dans une période de grands questionnements.
Voulons-nous que les robots tuent ? Les drones sont utilisés par les hommes politiques car ils offrent une équation de « rêve » : le combat sans risque de victimes humaines, du moins du côté de l’armée du drone.
Le problème pour Noel Sharkey [en] : le « tampon » créé entre le combattant et le terrain, matérialisé par un délai de deux secondes entre la commande et sa concrétisation sur le terrain.

Apparemment, l’armée recrute la génération jeu vidéo avec des pubs du style « Vous êtes un bon combattant sur votre PS3 ? Venez nous rejoindre, nous avons un bon travail pour vous ! » La guerre civilisée a de nombreux principes, comme appliquer une réponse proportionnelle à une menace particulière. Des capacités de jugement que les robots ne sont pas encore capables d’atteindre (le seront-ils jamais ?), pourtant nous les employons dans nos guerres pour combattre, de façon croissante. Une autre question : qui est coupable si votre Google car écrase un chien sur un passage piéton ? Êtes-vous responsable parce que vous avez signé un contrat utilisateur de 500 pages que vous n’avez jamais lu ou est-ce que les programmeurs sont responsables ? Des quantités de questions sont sur la table, et il faudra sans doutes quelques décennies de débats législatifs et de jurisprudence avant d’avoir des réponses.

Les cultures appréhendent les robots de façon différente

Une des citations marquantes de la conférence est venu de Fujiko Suda [en] qui a répondu à ma question : « pourquoi les robots viennent de pays asiatiques comme le Japon ou la Corée ? » Il a répondu que les Japonais « n’ont pas peur de jouer à Dieu puisqu’ils en ont déjà 8 millions. » Il y a là une idée intéressante : notre culture façonne notre manière de percevoir les robots. Apparemment en Occident, nous considérons tous qu’il existe un être supérieur au-dessus de  nous, le seul autorisé à créer des créatures qui imite la vie à s’y méprendre. Les robots vont, du moins dans notre imagination, égaler un jour les humains dans l’apparence et l’intelligence. Peut-être nous dépasser et devenir hors de contrôle ?

Tout cela conditionne notre perception et nous rend plus nerveux que les Japonais qui voient Dieu dans de nombreux aspects de leur vie quotidienne. Quand ils construisent une machine, ils ne franchissent pas autant de barrières que nous, d’où leur adoption plus précoce de cette technologie. Ce n’est pas le seul facteur (une population âgée qui a besoin de soins en est une autre) mais il est important.

Les robots ont quelque chose à voir avec Dieu

Comme indiqué dans mon précédent billet, il a été question de Dieu un certain nombre fois, et il semble qu’il existe définitivement une relation entre les robots et la religion. Dominique Sciamma [en] a affirmé :

Les robots finiront le travail entamé par Nietzsche, et tueront Dieu.

Peut-être que l’invention et la création de quelque chose d’aussi sophistiqué et intelligent que les humains fera que les Chrétiens reconsidèreront le génie de Dieu ? Si un homme peut le faire…

Dans l’ensemble, les conférenciers ont tous présenté de très bons exposés. Félicitations à Nicolas et toute l’équipe de Lift qui a réalisé un super boulot. Comme Frédéric Kaplan [en] me l’a dit dans le train du retour, « il est rare d’assister à une conférence sur la robotique capable de rendre ce sujet aussi riche d’enseignements, tout en étant provoquant et divertissant. »

Billet publié sur le blog de Laurent Haug sur LiftLab ; traduction Sabine Blanc

Crédits images Flickr CC Dan Coulter, wonderfully complex and tsukubajin

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