Le renseignement est aussi sur Facebook

Le 26 avril 2011

Avec 500 millions d'informateurs revendiqués, le réseau social est une mine d'informations que ne manquent pas d'exploiter les services d'espionnage et de contre-espionnage.

Sur Facebook, les espions ne sont pas toujours prudents. En 2009, on retrouvait sur le compte de la femme de John Sawers, qui s’apprêtait à prendre la tête des services secrets britanniques, un grand nombre d’informations personnelles concernant leur famille, leurs lieux de vacances ou leurs fréquentations. Largement de quoi compromettre la sécurité du premier des espions de Sa Majesté. Heureusement, tous les professionnels du renseignement ne sont pas aussi imprudents, et beaucoup ont appris à travailler avec les réseaux sociaux, et notamment avec Facebook.

Aujourd’hui, avec ses 500 millions de membres revendiqués, l’entreprise fondée par Mark Zuckerberg est de loin le plus gros annuaire mondial. Ses membres y documentent leur vie sans relâche, formant un gigantesque amas de données et d’informations en perpétuelle actualisation.

Dès l’apparition d’Internet, les services de renseignement du monde entier – d’espionnage comme de contre-espionnage – se sont emparés de ce nouvel outil de communication et d’information. L’arrivée du web 2.0 « communautaire » il y a une demi douzaine d’années a-t-il renouvelé leur approche du renseignement sur la toile ?

« Les internautes y mettent tout : leur vie personnelle, leur CV, leur amis… »

« Les sites et les réseaux sociaux sont utilisés comme les réseaux sociaux ‘physiques’ : un réseau social électronique est d’abord un réseau social », explique le journaliste Jean Guisnel, auteur de Guerres dans le cyberespace, Services secrets et Internet. Il nuance cependant son propos :

les réseaux sociaux électroniques présentent des caractéristiques déterminantes. Les internautes y mettent tout : leur vie personnelle, leur CV, leur amis… Ces informations étaient très difficiles à recueillir par le passé. Il fallait du temps, de l’énergie et des moyens. Aujourd’hui, ce travail est facilité par les citoyens, qui ne mesurent pas les conséquence de ce qu’ils font.

Ainsi, au mois d’août dernier, l’Electronic Frontier Foundation (EFF), une organisation américaine de défense des internautes, s’est procuré des documents émanant de diverses administrations des États- Unis. Parmi ces documents, un manuel pour les agents du FBI mentionne l’existence de comptes secrets sur Facebook pour récolter des informations.

La CIA n’est pas en reste. En 2005, l’agence a lancé l’Open Source Center, un portail qui compile et analyse les données présentes sur les blogs, les forums et les réseaux sociaux.

Une source suffisamment utilisée ?

Les grandes puissances diplomatiques ont été incapables de pressentir le formidable soulèvement des peuples arabes et s’interrogent depuis sur les raisons d’une telle cécité. Et si une partie de la réponse était à chercher sur Facebook ? À voir le rôle fondamental joué par ce réseau social dans l’éveil politique de la jeunesse égyptienne et tunisienne, on peut se demander si les services de renseignement y prêtaient suffisamment attention.

Le mea culpa a déjà commencé. Fin janvier, le directeur du cabinet de David Cameron a enjoint les services de renseignement a suivre de beaucoup plus près ce qui se tramait sur les réseaux sociaux : « avec l’utilisation d’Internet, la façon dont les mouvements de protestation se développent, c’est un monde totalement différent, a-t-il déclaré. Nous devons être beaucoup plus proches de ce monde là. »

Même son de cloche du côté israélien. Ronan Bergman, un expert des services secrets de l’État hébreu, a expliqué en avril 2010 à la BBC que surveiller les réseaux sociaux était le minimum de la part d’un service de renseignement : « Israël utilise l’énorme quantité d’informations personnelles mise en ligne pour identifier les gens qui peuvent [l'] aider ». Selon le quotidien panarabe Aschark Al-Awsat, Israël aurait déjà utilisé Facebook pour collecter des informations de la bande de Gaza et pour y recruter des informateurs.

Des militaires israéliens piégés par un profil aguicheur

A contrario, Facebook constitue une menace grandissante pour leurs homologues de l’intérieur, les services de contre-espionnage. De plus en plus d’individus possédant des informations stratégiques – cadres de grandes entreprises, scientifiques, soldats – utilisent Facebook de manière intensive. Cette nouvelle vulnérabilité inquiète le privé comme le public.

« Les grands groupes dont les salariés sont présents sur les réseaux sociaux sont autant de point faibles potentiels pour forcer une rencontre, créer des liens et soutirer des informations », précise Laurence Ifrah1, criminologue spécialiste des cyberconflits et du renseignement sur Internet. « Ces dernières années, les terroristes islamistes utilisent de plus en plus Facebook », peut-on lire au détour d’un rapport déclassifié du département de la sécurité intérieure américain consacré au terrorisme et aux réseaux sociaux.

Israël ferait partie des premières victimes. Le Hezbollah aurait déjà obtenu des révélations de militaires israéliens en utilisant Facebook. Plus de 200 soldats et cadres de l’armée, piégés par un faux profil féminin aguicheur et particulièrement amical, ont communiqué des noms de soldats, du jargon militaire, des codes secrets et des descriptions détaillées des bases militaires.

Shin Bet, le service de contre-espionnage israélien, avait sonné l’alarme en 2009 : « Nous avons reçu de plus en plus de rapports selon lesquels des éléments terroristes utilisent Facebook pour contacter des Israéliens et leur proposer de fournir des informations classifiées. »

Un service secret qui fonctionne bien est un service secret dont on n’entend jamais parler. De l’immense champ de bataille pour le renseignement qui s’est ouvert sur Facebook, on n’entend que les très lointains échos. On devine pourtant que le renseignement, qu’il soit offensif ou défensif, a déjà intégré la nouvelle du web 2.0. Et la dynamique n’est pas près de s’arrêter. Pour Jean Guisnel « aucun de nos échanges dans le cyberespace n’est secret. Rien. Zéro ». Vous aurez été prévenus.


Billet initialement publié sur The Paris Globalist.

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  1. Auteure de L’information et le renseignement sur internet. (Paris : PUF, 2010) []

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