Portrait des migrants tunisiens

Le 11 mai 2011

Majoritairement des garçons, jeunes, les migrants tunisiens fuient leur pays, attirés par le miroir aux alouettes que représente l'Europe. Mal perçus ici, ils sont considérés comme des aventuriers en Tunisie.

Qui sont ces migrants tunisiens récemment arrivés en France ? Ni persécutés, ni miséreux, pourquoi quittent-ils leur pays ? Clandestins clochardisés ici, ils font figure d’aventuriers au Maghreb où on les appelle les harragas, ceux qui brûlent les frontières. Virginie Lydie les a rencontrés en Tunisie. Elle publie un ouvrage1 très documenté sur ces grands incompris de l’immigration.

Qui sont ces harragas ?

Des Maghrébins qui ont envie de faire quelque chose de leur vie. Des garçons, entre 15 et 30 ans. Ils ne peuvent pas avoir de visas, donc ils partent avec les moyens du bord, en bateau. Littéralement,  « harragas » signifie « ceux qui brûlent » : les frontières, leurs papiers, leur identité et, parfois, leur vie lors d’un naufrage ou de longues années de clandestinité. Ces jeunes ne sont pas dans une logique suicidaire, mais ils sont tout de même prêts à mourir pour quitter la vie qu’ils mènent.

Partir ou mourir : comment arrive-t-on à de telles extrémités ?

Il y a d’abord la responsabilité de réussite sociale qui pèse sur leurs épaules. Là-bas, les parents retraités ont besoin de leurs enfants pour vivre. Or, le taux de chômage est énorme. Et si ces jeunes arrivent à trouver du travail, ils ne seront payés qu’une centaine d’euros pour 46 heures par semaine, soit tout juste de quoi survivre. Il y a aussi l’image de réussite véhiculée par l’Occident et par les migrants qui reviennent. Enfin, ces jeunes ont un très fort désir d’émancipation.

Ce n’est pas rien d’annoncer à sa famille : « Soit je pars, soit je meurs ». Cette décision, au fond très violente, explique aussi leur comportement en Europe. Ces migrants sont écartelés entre une vie très dure de clandestin régie par la loi de la jungle et le retour au pays forcément difficile car synonyme d’échec. Sans compter que s’ils partent, ils savent qu’ils ne pourront pas revenir compte tenu de la fermeture des frontières. Comprendre ces « brûleurs de frontières » qui n’ont pas de raisons évidentes de partir, c’est comprendre l’immigration.

Comment sont-ils perçus au Maghreb ?

Ils ont une image héroïque, celle du mythe d’Icare, de l’aventurier. Mais une amie géographe, qui enseigne dans la banlieue de Tunis, me racontait également qu’auprès des étudiants, leur image correspond au cliché sur nos banlieusards : issus de milieu défavorisés, pas très instruits et plutôt glandeurs…

La récente révolution tunisienne n’a rien changé à leur détermination ?

Ils sont très fiers de leur révolution mais ce n’est pas pour ça qu’ils ne veulent plus réussir leur vie ! La révolution ne va pas, du jour au lendemain, donner du travail à tout le monde. Beaucoup veulent venir en France parce qu’ils ont des repères ici. Le français est une des langues officielles de la Tunisie, même si tous ne la parlent pas. Il existe aussi une forme de revendication, ils disent : « La France nous a pas demandé notre avis pour nous coloniser ! »


Ils sont très mal perçus en Europe. Pourquoi ?

Chez nous, ils ne sont pas du tout considérés comme des aventuriers alors qu’ils sont, au fond, assez proches des gens qu’on admire et qui brûlaient les frontières, des Rimbaud ou des Henry de Monfreid qui étouffaient dans leur milieu. Ce dernier disait : « Je ne serai jamais l’épicier de Montrouge ». En Europe, les migrants d’aujourd’hui sont très stigmatisés. On les filme à leur arrivée en bateau pour faire des images choc. Pourtant, 90 % des migrants en situation irrégulière en France arrivent dans un avion avec des visas, mais c’est plus spectaculaire de montrer des gens qui arrivent dans des bateaux surchargés… On est presque dans la peopolisation. Ensuite, un autre mot prend le relais : clandestin. Celui qui se cache et fait peur.

En France ils sont découragés par ce qu’ils découvrent. Comment éviter ces traversées de harragas ?

Comment lutter contre un rêve ? Ils savent ce qui les attend mais pensent qu’ils ne feront pas comme les autres, que, eux, réussiront. Ils s’attendent aux naufrages, aux arrestations, mais pas aux conséquences intimes : le mépris, l’humiliation. Mais, même si vous leur dites ce qui les attend, ça ne les empêchera pas de partir. 70 % des personnes déjà expulsées n’ont qu’une envie : repartir. Tant qu’il y aura de tels écarts entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières est un non-sens. Je ne vois pas comment on peut empêcher à long terme des mouvements naturels de déplacements. Ces hommes ont risqué la mort et atteint leur rêve. Ils vont rester et tout faire pour réussir.


Article initialement publié sur le blog Laissez-Passer, sous le titre : “Les brûleurs de frontières, grands incompris de l’immigration”.

Crédits Photo FlickR : by-nc-sa Michele Massetani ; by DFID

  1. Virginie Lydie, Traversée interdite ! Les harragas face à l’Europe forteresse, Ed. le passager clandestin, 2011, 16€. []

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