Les ghostwriters des sociétés pharmaceutiques

Le 10 juin 2011

Des médecins-chercheurs prestigieux mettent leur nom sur des articles scientifiques qu'ils n'ont pas écrits et qui font la promotion de médicaments en falsifiant ou en fabriquant des données.

Grâce à la persévérance de plusieurs chercheurs, comme la professeur Adriane Fugh-Berman[en] de Georgetown University, et à celle des avocats représentant les causes de patients victimes de certains médicaments (Vioxx, Zoloft, Paxil, hormone de remplacement), une pratique scandaleuse des compagnies pharmaceutiques a été récemment révélée : le ghostwriting, c’est-à-dire le recours à des auteurs fantômes. De quoi s’agit-il ?

Afin de mieux positionner leurs produits sur le marché (auprès des médecins), des compagnies pharmaceutiques mettent au point des “plans de publication” visant à publier, entre autres, un maximum d’articles scientifiques vantant les mérites de leurs produits dans les principales revues médicales (New England Journal of Medicine, etc.). Pour cela, elles embauchent des firmes de rédaction médicale qui mettent au point des articles promotionnels, au style tout à fait scientifique. Si certains de ces textes se contentent de mettre en évidence les bienfaits de médicaments testés dans un essai clinique au détriment d’une présentation claire des effets secondaires, d’autres présentent carrément des données falsifiées ou fabriquées.

Pas de conflit d’intérêts ?

Dans d’autres cas, il s’agit de “revues systématiques”, ces synthèses d’articles très lues par les médecins pressés. Les firmes de rédaction médicale contactent ensuite des médecins prestigieux (des leaders d’opinion) et, contre une rémunération parfois très élevée, leur demandent de signer l’article comme auteur unique. Comme ces médecins n’ont pas été payés directement par la compagnie pharmaceutique, ils ne déclarent pas de conflits d’intérêts qui pourraient attirer l’attention des lecteurs.

Sur la base de tels articles, des médicaments aux effets douteux et même dangereux (Vioxx, Paxil), possiblement onéreux pour le système de santé mais lucratifs pour les compagnies pharmaceutiques, sont prescrits à de nombreux patients. Le procès du Vioxx a permis de recenser des dizaines d’articles de ce type vantant ce médicament antiinflammatoire qui fut retiré en 2004 du marché par la FDA.

Récemment, on a découvert qu’un manuel très utilisé de pédopsychiatrie, recommandant l’usage du ritalin, avait été rédigé par une écrivaine fantôme[en], Sally Laden, payée par la compagnie qui fabrique le ritalin. Les deux auteurs officiels du livre sont Dr. Charles B. Nemeroff, directeur du département de psychiatrie à l’University of Miami medical school et Dr. Alan F. Schatzberg, directeur du département de psychiatrie à Stanford University School of Medicine…

Cette pratique convoque au moins 6 enjeux éthiques majeurs :

- la falsification d’un texte scientifique dans l’intention de tromper le public
- le manque de rigueur et d’intégrité des auteurs fantômes, dont la conscience est endormie par l’argent ou des promesses de pouvoir
- le manque d’esprit critique des revues médicales ou des maisons d’édition qui acceptent trop facilement des articles ou des livres d’auteurs prestigieux
- l’abus de confiance des médecins qui se fient, pour leur pratique clinique, à la qualité des “donnés probantes” publiées dans les grandes revues
- le manque de balises en droit et en éthique pour contrer ce genre de pratique
- les conséquences désastreuses sur la santé publique de ces “partenariats publics-privés” entre l’industrie et l’Université.

Voici différentes références sur ce sujet déjà évoqué en 2009 par l’Agence Science Presse – pour ceux qui ne croiraient toujours pas à une telle ignominie de la part de l’industrie pharmaceutique et des vedettes de la recherche biomédicale !

The Ethics of Ghost Authorship in Biomedical Research: Concerns and Remedies Workshop[en] (un atelier sur la question qui a eu lieu mercredi dernier à Toronto, auquel j’ai assisté)
The murky world of academic ghostwriting [en]
Le “ghostwriting” ou l’écriture en sous-main des articles médicaux
The Haunting of Medical Journals: How Ghostwriting Sold “HRT” [en]
What Should Be Done To Tackle Ghostwriting in the Medical Literature ? [en]
Not in my name [en]
Drug Company used Ghostwriters to Write Work Bylined by Academics, Documents show [en]
Is Drug Research Turning Into a Scam ? [en]


Article initialement publié sur le site “Agence Science Presse” sous le titre “La pratique du ghost writing dans la recherche biomédicale“.

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