Pesticides à volonté
Le 20 mars prochain, une douzaine d'ONG lanceront en France et en Europe la Semaine sans pesticides. L'occasion de mettre en évidence les dérives réglementaires du gouvernement français. Ainsi, à la faveur d'une discrète directive du ministère de la Santé, désormais l'eau du robinet peut contenir des doses de pesticides en quantité cinq fois supérieures.
Le 22 février dernier, l’association Générations Futures a révélé l’existence d’une directive du ministère de la Santé, discrètement entrée en vigueur il y a plus d’un an, et qui revoit à la hausse les concentrations autorisées de pesticides dans l’eau potable. Avec cette modification passée sous silence, la France tolère ces polluants en quantité cinq fois supérieures.
Une découverte qui devrait animer les débats prévus en France, à partir du 20 mars prochain, à l’occasion de la Semaine sans pesticides, à laquelle prendront part une douzaine d’ONG ainsi que quelques collectivités publiques, dont la Mairie de Paris.
Car la conséquence de ces changements réglementaires nourrit quelques inquiétudes. Alors qu’en 2009, 34.300 personnes avaient subi des restrictions d’usage du fait de la présence de pesticides dans l’eau, en 2010, leur nombre n’était plus que de 8.939 personnes. Pour Générations Futures, il s’agit d’une “baisse artificielle” due à une “manipulation des valeurs”. En cause, une instruction émise par la Direction générale de la santé le 9 décembre 2010.
Pour répondre aux exigences dans la lutte contre la pollution de l’eau, soit on met tout en œuvre pour réduire la présence des substances nocives, soit on préfère remonter les taux et prétendre à une amélioration de la situation. C’est un peu comme si on changeait les degrés sur un thermomètre pour faire croire qu’il fait moins chaud.
François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures, s’insurge ainsi contre ce cet “aveu de faiblesse” du gouvernement. Selon lui, en France, l’examen de la qualité de l’eau reste un processus abscons qui pourrait, à l’occasion, générer des interprétations abusives.
La surveillance de l’eau du robinet, pour déterminer si elle est potable, s’effectue en plusieurs étapes. Le principe consiste à mesurer la quantité de pesticides présente dans un échantillon pour en déduire une concentration en microgramme par litre. L’Union européenne a instauré la directive 98/83/CE en novembre 1998 pour juger de la bonne conformité en proposant des doses maximales en dessous desquelles l’eau est dite de qualité.
Limites de qualité pour l’eau du robinet, en microgramme par litre (μg/L)
0,10 pour chaque pesticide (par substance individuelle)
0,03 pour les pesticides aldrine, dieldrine, heptachlore et époxyde d’heptachlore
0,50 pour la somme de tous les pesticides en présence
Lorsque ces exigences ne sont pas respectées, il faut de nouveau tester cette eau et mesurer les concentrations de tous les pesticides en présence. Ces taux vont alors être comparés avec des valeurs de référence, uniques pour chacune de ces substances et qui correspondent à des limites au delà desquelles un risque pour la santé est suspecté. Ces valeurs sont appelées Vmax pour valeurs sanitaires maximales, provenant majoritairement des données de l’Organisation mondiale de la santé.
Depuis 1998, un avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF) prévoyait une interdiction provisoire de consommation :
lorsque la valeur mesurée et confirmée dépasse la valeur maximale sanitaire ;
lorsque le dépassement est supérieur à 20% de la valeur maximale sanitaire pendant plus de 30 jours consécutifs.
Par exemple, un herbicide comme la Simazine, dont l’utilisation a été prohibée en 2003, a une Vmax de 2μg/L. Si on la retrouve dans les eaux en concentration supérieure à 0,4μg/L pendant plus d’un mois, l’eau ne peut être consommée, “ni pour la boisson, ni pour la préparation des aliments”.
Revenant sur ces précautions d’usage, la Direction générale de la santé, dépendant du ministère de la Santé, a donc émis le 9 décembre 2010 une instruction qui remplace le précédent avis. Cette note interne, non communiquée aux associations locales, fixe la limite à ne pas dépasser à 100% de la Vmax. C’est l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui s’est chargée de déterminer la valeur maximale sanitaire pour chacun des pesticides surveillés. Extrait de l’instruction :
L’Anses estime ainsi que l’ingestion pendant la vie entière d’une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la valeur sanitaire maximale (Vmax) n’entraîne, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l’état actuel des connaissances, aucun effet néfaste pour la santé.
Le taux intermediaire de 20 % n’existe plus, ce qui revient à dire que la concentration maximale autorisée pour chaque pesticide a été multipliée par cinq lorsqu’une pollution sur plus de 30 jours est constatée.
Pour Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’UIPP, l’Union des Industries de la Protection des Plantes qui compte parmi ses adhérents les plus grands producteurs de pesticides, il s’agit d’une évolution logique :
Les risques sanitaires ont été évalués par l’Anses. Qui dit présence de polluants ne veut pas forcément dire danger pour la santé ou pour l’environnement ! Les dépassements de concentrations autorisées étant assez fréquents il était normal de fixer à quel niveau on se situe pour éviter de faire trop de traitements des eaux.
En conséquence, une eau peut contenir des doses très élevées de certains pesticides sans pour autant être interdite à la consommation.  La présence d’acide benzoïque dont est dérivé le désherbant Dicamba, peut par exemple atteindre les 15 milligrammes dans un litre d’eau. Bien loin donc des recommandations de la directive européenne. Si ces Vmax sont sensées refléter une idée relative de la toxicité pour chaque polluant à l’étude, le cas de certains pesticides soulève des interrogations.
Une étude de l’Inserm datée de mars 2011 menée en Bretagne souligne notamment qu’un herbicide, l’Atrazine aurait un impact sur le développement du fÅ“tus et ce à de faibles doses environnementales. Hautement toxique et soupçonné d’être cancérigène et perturbateur endocrinien, il a été interdit en France en 2003 après 30 ans d’utilisation intensive, il est pourtant encore fréquemment retrouvé en cas de pollution des eaux.  Depuis décembre 2010, le taux limite est désormais fixé à 2μg/L, quelque soit la durée d’exposition. François Veillerette y voit dans cette nouvelle instruction un système hypocrite :
Même si ces 20% n’étaient qu’une valeur relative, cette concentration maximum permettait au moins de se rapprocher un peu plus de l’esprit du texte européen à savoir retrouver le moins de résidus de pesticides possible. En se cachant derrière des chiffres, le gouvernement a en fait une attitude anti-scientifique : elle oublie le principe de précaution. C’est ce genre de raisonnement qui a causé le scandale du bisphénol A.
À noter également que cette instruction ne prend toujours pas en compte les effets de synergie pouvant survenir, c’est-à -dire les effets combinés des pesticides qui, mélangés, peuvent avoir de graves conséquences.
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