OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’attentat oublié du Caire http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/ http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/#comments Tue, 12 Jun 2012 20:09:03 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=113137

L’enquête est en panne. Plus de trois ans après l’attentat du Caire du 22 février 2009, rien n’indique que les investigations aient mené à des résultats concrets. À 18h50 ce jour-là, une bombe artisanale explose dans le souk Khan el-Khalili, sur le parvis de la mosquée Hussein. Un groupe de jeunes français est touché. Ils viennent de Levallois, à l’Ouest de Paris. Cécile Vannier, 17 ans, meurt quelques heures plus tard. 24 personnes sont blessés, dont 17 Français. Le nombre précis de victimes n’a pu être déterminé précisément. Des jeunes affirment avoir vu le corps d’au moins un enfant égyptien, “le ventre ouvert, ses entrailles s’en échappa[nt]“.

Officiellement, la justice française ne retient qu’une victime décédée, Cécile Vannier. Compétente quand un ressortissant français est pris pour cible à l’étranger, la section antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris a ouvert une information judiciare, désespérément vide plus de trois ans après les faits. Elle a été confiée au président de la galerie Saint-Eloi, le juge Yves Jannier, récemment nommé procureur de la République à Pontoise.

Gaza

Aujourd’hui, les parties civiles dénoncent l’absence de résultats. Une seule personne est mise en examen en France. Dude Hoxha, dont le prénom a parfois été orthographié Dodi dans la presse. Il lui est reproché d’avoir participé à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et d’avoir participé au financement d’un groupe terroriste. La justice vise ses relations avec Khaled Moustafa, un Égyptien suspecté d’être l’un des principaux membres du groupe Jaish al Islam, l’armée de l’Islam, lié à Al Qaida et implanté dans la bande de Gaza.

Dude Hoxha est française. Yeux bleus et peau claire, couverte d’un voile noir et d’un autre blanc, elle a répondu aux questions d’Owni dans un café parisien. Passée par Londres, où elle était en lien avec les figures radicales du Londonistan, notamment Omar el Bakri, elle s’est installée en Égypte en août 2005 avec son fils en bas âge. Elle affirme avoir des dissensions et divergences de points de vue avec certaines figures très connues du milieu jihadiste en Europe. Le 23 mai 2009, trois mois après l’attentat, la Sécurité d’État égyptienne l’arrête en même temps que six autres personnes et la place en détention avec son fils de sept ans, raconte-elle aujourd’hui. Elle est enfermée et torturée :

Ils ont menacé de torturer mon fils de sept ans, mais ne l’ont jamais fait parce qu’il a la nationalité française je pense.

Les questions des services de sécurité égyptiens portent sur Khaled Moustafa, l’un des responsables du groupe dans la bande de Gaza. Dude Hoxha affirme avoir appris que son arrestation était en lien avec l’attentat du 22 février que plusieurs semaines plus tard, à la faveur de la première visite consulaire. Sa détention se prolonge jusqu’au 8 mars 2010, elle est alors libérée et expulsée dans les jours suivants vers la France.

À son retour, les services antiterroristes français la surveillent. Elle est placée sous écoute, puis décision est prise de l’interpeller. Le 15 novembre 2010, elle est arrêtée à son domicile dans le Val de Marne, placée en garde à vue pendant 96 heures et mise en examen. Les enquêteurs s’interrogent sur ses liens avec Khaled Moustafa. A Owni, elle explique avoir correspondu avec lui sur MSN et par mail avant son arrivée au Caire puis lors de son séjour.

Dude Hoxha dit aussi l’avoir rencontré deux fois, mais avoir rompu le contact entre 2007 et la fin de l’année 2008, jusqu’à la guerre à Gaza pendant laquelle elle prend de ses nouvelles. Les enquêteurs s’intéressent aussi à une somme d’environ 10 000 dollars qui aurait transité par Dude Hoxha à destination de Khaled Moustafa. Elle se montre peu loquace arguant qu’il s’agirait d’une collecte de fonds pour les enfants de Gaza à remettre à la femme de Khaled Moustafa.

Alibi judiciaire

Les autorités égyptiennes se félicitent de les avoir arrêtés, lui et Ahmed Sediq, également présenté par les autorités égyptiennes comme l’un des chefs de la cellule terroriste responsable de l’attentat du 22 février. Principaux suspects pour les autorités égyptiennes qui avaient évoqué de nombreuses pistes avant, ils ont été relâchés après une courte période en détention. C’est l’avocat de Dude Hoxha, Pascal Garbarini, qui a apporté des éléments, parus dans la presse égyptienne, concernant la libération de Moustafa et Sediq.

En charge du dossier depuis juillet 2011, il plaidait en appel une demande de placement sous contrôle judiciaire de sa cliente, devant la chambre de l’instruction. Yves Jannier, magistrat instructeur, a confirmé les informations apportées par l’avocat : les deux suspects ont bien été relâchés par les autorités égyptiennes. La chambre de l’instruction a accordé la remise en liberté de Dude Hoxha le 8 novembre 2011.

Me Garbarini, plus familier des affaires corses que des dossiers jihadistes, ne mâche pas ses mots à l’égard de la tenue de l’enquête :

Les éléments ne justifiaient pas de mise en examen ni la détention provisoire. Il s’agit de donner le change aux victimes, qui ont bien entendu le droit de savoir. Mme Hoxha sert de justificatif face à une enquête carencée. Elle sert d’alibi judiciaire.

Les parties civiles sont elles aussi loin de se satisfaire de ces trois ans d’enquête, qui n’ont pour l’heure permis la mise en examen que d’une seule personne, malgré les promesses de Nicolas Sarkozy au lendemain de l’attentat. Malgré les pressions sur certains témoins entendus aussi. Lors d’un interrogatoire par la DCRI, les enquêteurs ont dit à l’un d’eux, qui tient à rester anonyme :

Ce dossier tient à cœur au maire de Levallois.

Mystérieuse note de la DGSE

Sous-entendu, Patrick Balkany, proche de l’ancien Président français. Les parents de Cécile – Catherine et Jean-Luc Vannier – et trois autres mères de victimes, Chantal Anglade, Sophie Darses et Joëlle Cocher, ont interpellé les responsables politiques à plusieurs reprises. Elles cherchent à obtenir la déclassification d’une note des services de renseignement extérieur français, la DGSE. Trois jours après l’attentat, Le Canard Enchainé se faisait l’écho d’une “analyse effectuée par plusieurs membres de la DGSE” :

A l’origine de la version DGSE de l’attentat : l’enquête réalisée sur place par les correspondants du service de renseignement, et une information selon laquelle les jeunes touristes français auraient été pistés pendant plusieurs jours par un groupe terroriste. Ces poseurs de bombes auraient ainsi voulu faire “payer” à la France la participation de la frégate “Germinal” au blocus des côtes de Gaza en compagnie de navires israéliens. Cette participation de Paris à la surveillance du territoire palestinien, sous prétexte de possibles trafics d’armes, a été récemment dénoncée par plusieurs sites islamistes égyptiens.

La version qui prévalait jusque là était celle de la frappe aveugle. Les informations de l’hebdomadaire satirique laissent penser que l’attentat intervient au contraire en représailles à un discret soutien français à Israël pendant le conflit. Depuis, les familles de victimes demandent le déclassement de la fameuse note. Ce qui leur a été accordé par la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), selon l’avis paru au Journal officiel le 23 septembre 2011. La commission cite “la note n°30455 de la direction générale de la sécurité extérieure en date du 23 février 2009″. La-dite note, versée au dossier, ne correspond pas aux attentes des parties civiles. Dans un courrier adressé au nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, elles écrivent :

La note déclassifiée versée au dossier ne correspond pas à celle citée par Le Canard Enchaîné, ni ne porte le numéro 30455 indiqué par le JO (…), et enfin ne fait référence ni à la frégate Germinal, ni au fait que le groupe d’adolescents aurait été suivi et visé. En d’autres termes, la note versée n’est pas la note déclassifiée et c’est une autre note que celle dont nous avons demandé et redemandons la déclassification. En conséquence, nous exigeons la déclassification de la note citée par Le Canard Enchaîné.

De fait, la note déclassifiée, qu’Owni a consultée, présente de possibles auteurs de l’attentat et leurs différents motifs. Les auteurs penchent pour une action d’Al-Qaida, rappelant le “parcours personnel” du numéro deux du groupe terroriste, Ayman al-Zawahiri, lui-même égyptien. A aucun moment n’apparaît l’opération Plomb Durci ou la frégate Germinal. Reçus à leur demande le 10 avril par Jean-Pierre Picca, le conseiller justice de l’ancien Président de la République, les parents de Cécile Vannier ont eu la surprise d’apprendre qu’il s’agit d’un “malentendu”, que le juge Jannier n’avait sans doute pas compris à quelle note précise ils faisaient référence.

Poussière

Un juge qui concentre les critiques, tant des mis en examen que des parties civiles. Lors de l’interpellation en France de Dude Hohxa, Yves Jannier aurait averti les parties civiles que de “la poussière recouvrirait le dossier” si elle venait à s’ébruiter, racontent les familles, choquées par une telle réplique. Elles rappellent que les deux commissions rogatoires n’ont donné aucun résultat. Yves Jannier s’est rendu à deux reprises en Égypte, la première fois en décembre 2009, la seconde fin 2011. Selon plusieurs sources, aucune pièce issue de ces séjours n’est venue enrichir le dossier. Dude Hoxha affirme ne pas avoir été interrogée en sa présence alors qu’elle était détenue en Égypte en décembre 2009. Une personne familière du dossier met en cause la nature des informations récoltées, des renseignements fournis par la DCRI difficiles à faire entrer dans une procédure judiciaire.

Me Garbarini avance une autre piste. La lenteur de l’enquête pourrait provenir du changement de régime en Égypte et donc du renouvellement des interlocuteurs pour les services français. En 2009, un attaché de sécurité intérieur était présent à l’ambassade de France, Olivier Odas. Joint par Owni, il refuse de commenter cette affaire insistant sur son rôle d’abord “la coopération ouverte et non des missions de renseignement” du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP) auquel il était rattaché. Il avait été entendu le 24 février, deux jours après l’attentat, par la commission des affaires étrangères du Sénat, dans le cadre de la rédaction d’un rapport sur “Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire”. Une partie était consacrée à la menace d’Al Qaida au Proche-Orient, notamment en Égypte.

Rédigé par deux sénateurs, Jean François-Poncet et Monique Cerisier ben Guiga, le rapport rejette l’hypothèse d’un attentat aveugle et reprend prudemment la thèse des représailles :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a précisé que, d’après les informations fournies sur place, l’attentat du 22 février dernier au Caire a probablement été le fait d’un petit groupe de terroristes improvisés. La bombe était artisanale, d’une puissance explosive faible. L’attentat n’a pas été revendiqué. (…) Les Français étaient-ils visés ? Il paraît probable que la France ait été ciblée, compte tenu de l’amitié proclamée entre le Président Moubarak et le Président Sarkozy et de l’envoi de la frégate Germinal au large de Gaza pour mettre fin à la contrebande par voie de mer. Mais cela ne peut être prouvé, du moins pour l’instant.

]]>
http://owni.fr/2012/06/12/lattentat-oublie-du-caire/feed/ 2
Karachi vu depuis Washington http://owni.fr/2012/01/12/karachi-vu-par-washington/ http://owni.fr/2012/01/12/karachi-vu-par-washington/#comments Thu, 12 Jan 2012 15:41:22 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=93947

Le 8 mai 2002 et dans les semaines suivantes, les services de sécurité du consulat américain de Karachi ont suivi et analysé l’attentat perpétré contre le bus de la Direction des constructions navales (DCN – désormais appelée DCNS). Au titre de leur mission de renseignement sur les actes terroristes perpétrés au Pakistan, en particulier lorsqu’ils visent des cibles des États-Unis ou de leurs alliés.

Nous avons obtenu auprès de Washington les notes qu’ils ont rédigées en relation avec l’attaque terroriste perpétrée ce jour-là contre le bus des employés français de la DCN provoquant la mort de 15 personnes et en blessant 23 autres. Ces notes ont toutes été transmises par télégramme diplomatique au siège du département d’État à Washington.

Nous les avons reçues après avoir formulé une requête auprès de l’administration américaine au titre du Freedom of information act (FOIA), une loi permettant à n’importe quel citoyen d’obtenir, personnellement, la dé-classification de documents étatiques.

Quelques heures après l’attentat

La première d’entre elles est datée du 8 mai 2002 à 12h12, soit quelques heures après l’explosion qui a ébranlé Karachi ce matin-là, en plein centre-ville, devant l’hôtel Sheraton où étaient logés des salariés de la DCN envoyés au Pakistan pour assembler des sous-marins que la France avait vendu à ce pays. Ils s’apprêtaient à rejoindre leur lieu de travail dans un bus de l’armée pakistanaise.

Ce document classé confidentiel (copie intégrale ci-dessous) est rédigé par le consul général américain, John Bauman, à l’attention du Secrétaire d’État, avec demande de transmission immédiate. Le responsable diplomatique y affirme notamment :

L’attaque suicide à la voiture piégée du 8 mai 2002 était sans précédent pour trois raisons. Premièrement, la force de l’explosion était plusieurs fois supérieure à la magnitude provoquée d’ordinaire par les engins utilisés par les extrémistes locaux. Deuxièmement, c’est le premier attentat suicide enregistré à Karachi (…) Troisièmement, cette attaque visait un contractant des forces armées pakistanaises ; en l’espèce des ressortissants français travaillant sur un projet de sous-marin.

Les services de sécurité du consulat américain semblent ainsi disposer d’outils de mesure pour calculer l’impact et le souffle des explosions. Selon le consul général, au regard de ces relevés, il faut remonter à 1987 pour observer un attentat d’une telle puissance survenu à Karachi (point numéro 3 de sa note).

Évènement singulier

Mais c’est la nature de la cible qui paraît surtout éveiller la curiosité du fonctionnaire américain. Jamais, en règle générale, les groupuscules islamistes ne s’attaquent à l’armée. Pour d’évidentes raisons : la plupart du temps ces groupuscules ne sont rien d’autres que des supplétifs des services pakistanais, historiquement chargés de répandre le jihad au Cachemire et en Afghanistan. Selon cette note :

Le seul attentat répertorié dans le passé contre les forces armées pakistanaises date de 1988, lorsqu’un appareil AC-130 transportant le général Zia Ul Haq [alors chef d’État du Pakistan, NDLR] s’est crashé tuant tous les passagers dont l’ambassadeur Arnie Raphel. Les investigations sur le crash n’ont pas été concluantes ; [la suite de ce paragraphe n’a pas reçu un avis favorable de déclassification, cependant, selon des chercheurs pakistanais des chefs des services secrets seraient impliqués dans cet attentat, NDLR]

Dès le premier jour, l’acte terroriste qui vise les salariés de la DCN est donc perçu par les fonctionnaires américains comme un événement criminel singulier, sans rapport avec le climat déjà violent de l’époque – nous sommes huit mois après le 11 septembre 2011. Le 17 mai 2002, le corps sans vie de Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal, est retrouvé dans les faubourgs de Karachi. Et le 13 juin 2002, quatre semaines environ après leur première note sur l’attentat contre le bus de la DCN, les fonctionnaires du consulat câblent à leur hiérarchie un ensemble de données factuelles sur tous les attentats perpétrés à Karachi depuis le début de l’année 2002 (copie intégrale ci-dessous).

On y découvre que de multiples attentats se sont produits depuis janvier 2002 dans cette ville portuaire, authentique base arrière pour quantité de moudjahidines. Mais, selon un indice de létalité que définissent les Américains, aucun de ces multiples attentats ne peut être rapproché de celui qui a frappé la DCN. À partir des données du département d’État mentionnées dans ce document, nous avons établi le graphique suivant :

Paragraphes blanchis

Mais ces données évolueront dramatiquement quelques jours plus tard. Le 14 juin un attentat à la voiture piégé prend pour cible l’immeuble de ce même consulat américain de Karachi ; tuant 13 personnes et en blessant 40 autres. C’est, du strict point de vue des mesures effectuées sur ces actes terroristes, le seul attentat comparable en intensité à celui qui a touché la DCN. Un officier de sécurité du consulat américain, Rendall Bennett, semble s’intéresser à ces questions. Le courrier de l’un de ses adjoints, révélé par Libération, montre que dès le 8 mai 2002 son entourage ne croyait pas à l’hypothèse d’un attentat islamiste comme tant d’autres.

Le 1er juillet, il envoie un rapport confidentiel (copie intégrale ci-dessous) au département d’État sur l’ensemble de ces questions (seule raison pour lesquelles nous avons obtenu sa transmission). Seulement, l’essentiel des paragraphes a été blanchi au motif que leur divulgation porterait atteinte aux intérêts (diplomatiques, vraisemblablement) des Etats-Unis.

Pédigrée complet

Le 9 juillet 2002 marque, pour les Américains, un tournant dans leur recherche pour identifier les responsables de l’attentat contre leur consulat. Les auteurs supposés ont été arrêtés, plusieurs d’entre eux semblent appartenir au groupuscule Harakat al Moujahidine.

L’équipe de Rendal Bennett câble alors un compte rendu sur des discussions qu’ils ont eues avec des cadres de la police à l’origine de leur arrestation (copie intégrale ci-dessous). Ces derniers leur fournissent un pedigree complet des suspects. Dans leur note, les fonctionnaires américains détaillent le cas de Mohammed Hanif (page 3 du document), lequel reconnaît avoir participé à des opérations de repérages pour l’attentat du 8 mai 2002.

Or, selon un procès-verbal de la DST française du 17 juillet 2002, le même Mohammed Hanif obéissait aux ordres d’un responsable des forces paramilitaires pakistanaises des Rangers, et dénommé Waseem Akhtar. Et ce sont ces mêmes unités des Rangers qui sont à l’origine de l’arrestation en un temps record – environ trois semaines – des membres du commando responsable de l’attentat contre le consulat américain, comme le rapportent les notes du département d’État que nous avons obtenues.

Dans leur ensemble, ces nouvelles pièces renforcent l’hypothèse d’une implication du groupe Harakat al Moujahidine, qui aurait pu agir sur instruction d’une partie de l’appareil sécuritaire pakistanais.

Précision : durant l’été 2002, l’auteur de l’article a été associé à l’enquête qui a débouché sur la rédaction des notes Nautilus. Depuis 2008, ces notes sont à l’origine du réexamen de l’affaire Karachi.

]]>
http://owni.fr/2012/01/12/karachi-vu-par-washington/feed/ 5
Le jour où les avions se sont arrêtés http://owni.fr/2011/09/08/avions-arretes-11-septembre-2001-world-trade-center/ http://owni.fr/2011/09/08/avions-arretes-11-septembre-2001-world-trade-center/#comments Thu, 08 Sep 2011 17:02:08 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=78563 Le 11 septembre, les vols d’avion sont bradés. Par superstition, sans doute, de nombreux voyageurs évitent cette date. Ils ne le font pas en souvenir du coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, mais à cause de l’attentat du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001.

Une date marquante, il est vrai, autant pour le fait historique lui-même, pour les images qu’il a produites que pour tout ce que cela a déclenché ou plutôt, autorisé : des guerres moyen-orientales, des lois réprimant les libertés publiques et le sentiment général, à tort ou à raison, d’un certain déclin des pratiques démocratiques dans les pays les plus développés.

Souviens-toi, souviens-toi du 11 septembre

Je me rappelle bien ce jour là. Ma fille aînée, qui avait alors onze ans, nous avait prévenus de ce qui était pour elle un évènement incroyable : toutes les chaînes diffusaient le même programme. À ce moment, personne ne savait ce qu’il se passait, on voyait de la fumée sortir d’une des tours qu’un avion venait de percuter. La thèse de l’accident a été abandonnée quand on a vu un second avion percuter l’autre bâtiment. On a vu les tours s’effondrer, en direct, l’une après l’autre. Je ne me souviens plus trop de l’enchaînement des évènements ensuite : on a parlé d’un avion s’écrasant sur la Maison Blanche (aussitôt oublié, il s’agissait vraisemblablement d’une erreur), d’un autre sur le Pentagone, d’un autre encore qui ne répondait plus et que l’on avait dû abattre, le climat était à la panique complète, les images étaient rediffusées en boucle, on revoyait de malheureux courtiers se jeter du haut des tours jumelles dans un geste désespéré dont le sens n’est toujours pas très clair.

J’aimerais bien revoir l’ensemble de ces images, disons les deux premiers jours, pour me rappeler dans quel ordre tout ça nous est parvenu, savoir à quel moment précis le coupable a été désigné, aussi. Je me rappelle enfin que pour quelques dizaines d’heures, tous les vols civils du monde ont été annulés, permettant aux météorologues et aux observateurs de la qualité de l’air de collecter des données complètement inédites sur l’impact écologique de l’aviation. On peut minimiser l’évènement, rappeler le nombre de fois où les États-Unis ont été la cause directe ou indirecte d’un grand nombre de morts, mais il n’empêche que dans les heures qui ont suivi l’effondrement des tours, le monde s’est arrêté, on ne parlait que de ça et on ne pensait qu’à ça. Quelque chose de nouveau s’était produit, un évènement sidérant, dont on a tout de suite été certains qu’il allait changer énormément de choses à la marche du monde — et ce fut le cas.

Les coupables désignés ont été les terroristes islamistes du groupe Al Qaeda, qui s’en étaient déjà pris au World Trade Center en 1993. Je ne me rappelle pas que l’attentat du 11 septembre ait été explicitement revendiqué par Al Qaeda, mais il n’a jamais été démenti non plus. Le président de l’époque, George Bush, élu récemment dans des conditions complexes (au terme d’un recomptage des votes), dont la seule particularité notable jusqu’ici était d’être le fils du prédécesseur de son prédécesseur, connaissait une baisse régulière de son taux de popularité. En allant sur les gravats de Ground Zéro un casque de pompier sur la tête et en promettant une guerre en Afghanistan, George Bush a vu sa cote de popularité passer en quelques jours de cinquante à quatre-vingt dix pour cent : l’effroi de tous les américains, fragilisés comme jamais dans leur histoire, avait eu cet effet inespéré.

La guerre oui, mais pas sur notre territoire

Il faut dire que depuis l’attaque de Pearl Harbour , le pays n’avait jamais été attaqué sur son sol. En fait, les États-Unis, qui sont pourtant en guerre permanente depuis qu’ils existent, ne sont pas du tout habitués à être pris pour cible de manière directe. Dans la foulée de cet enthousiasme bushiste, quatre-vingts pour cent des américains soutenaient encore leur président, le 26 octobre 2001, lorsque celui-ci a fait voter le Patriot Act, un arsenal juridique qui donnait des pouvoirs étendus aux services secrets et limitait nettement les libertés publiques : droit à la vie privée, droit d’expression, droits de la défense des accusés. Ne parlons pas de l’amalgame honteux qui associait à Al Qaeda l’Iran la Corée du Nord et surtout l’Irak, victime d’une guerre aux justifications vaseuses et mensongères.

Enfin, New York, siège des Nations Unies, symbole d’une Amérique cosmopolite liée à la vieille Europe, centre du XXe siècle, a momentanément semblé vaincue par ses propres valeurs d’ouverture au monde. Et ce n’est pas un petit symbole.

De manière opportuniste, le gouvernement fédéral venait d’obtenir de nombreuses choses qu’il aurait été difficile ou impossible à obtenir autrement, et ceci avec le consentement pleutre du parti Démocrate (qui a voté le Patriot Act et accepté la guerre en Irak) mais aussi de la plupart des alliés des États-Unis, à l’exception de la France dont la résistance reste le dernier “beau geste” historique à mon avis. Il faut dire que la menace était forte, le président de la première puissance militaire n’avait pas hésité à lâcher :

Vous êtes soit avec nous, soit contre nous

La théorie du complot dans l’air du temps

La théorie d’un “choc des civilisations” que Ben Laden ou George Bush ont tenté d’imposer à l’opinion internationale semblait pourtant motivée par une raison certes civilisationnelle mais pas spécialement religieuse, je veux parler du pétrole. La famille Bush et la famille Ben Laden étaient partenaires financiers dans le domaine, et Oussama Ben Laden, renégat de sa famille, avait quand à lui été soutenu par la CIA, qu’avait justement dirigé George Bush père, pendant la guerre entre l’URSS et l’Afghanistan. La proximité amicale, historique, financière et stratégique entre différents protagonistes et les conflits d’intérêts (il suffit de penser au fait que le vice-président Dick Cheney était l’ancien directeur de la société Halliburton, titulaire de milliards de dollars de contrats avec l’armée) ou les incohérences dans la traque d’Oussama Ben Laden (jusqu’à son incompréhensible assassinat) ont donné à certains l’idée folle que la chute des tours jumelles avait été décidée et exécutée par la CIA.

C’est la fameuse “théorie du complot”, qui a été décrédibilisée par ceux qui l’ont soutenue médiatiquement et ont tenté de la démontrer, expertises “indépendantes” farfelues à l’appui, mais qui n’a pourtant rien d’absurde : après tout, il est déjà arrivé que les États-Unis attaquent leur vassaux en se faisant passer pour leurs rivaux, comme dans le cas du spectaculaire attentat de la Gare de Bologne, en 1980, organisé par des “Brigades rouges” qui étaient en réalité des néo-nazis de la loge maçonnique . Propaganda due, fournis en explosifs par Gladio, c’est à dire la branche italienne de Stay Behind, un service secret de l’Otan chargé de diffuser en Europe la peur du socialisme.


Les complots existent. Les attentats destinés à accuser d’autres que ceux qui les ont perpétrés, y compris des attentats contre soi-même, ne sont pas rares dans l’histoire : qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la gale, n’est-ce pas. Mais pour moi, l’hypothèse du complot d’État reste peu vraisemblable, et ce pour des questions d’image.

Pour commencer, la raison d’État est une notion qu’une majorité de gens admet à des degrés divers, mais toujours à condition que celle-ci ait un lien direct avec ce qui est censé être protégé ou conquis. On peut prendre pour exemple la question des indiens d’Amérique. Malgré quelques films tardifs d’auto-flagellation (Little Big Man, etc.), les Américains vivent assez bien avec l’idée du génocide des indigènes. Certaines parties de leur histoire les mettent un peu plus mal à l’aise. Le film Heaven’s Gate (1980), de Michael Cimino, a par exemple provoqué à sa sortie un rejet général de la part de la critique et du public, car il affirmait que les grands propriétaires terriens qui ont fondé le pays l’ont fait en assassinant les immigrants pauvres qui étaient venus chercher la bonne fortune sur le nouveau continent, et dont la présence gênait : il y a ici une dissonance entre deux mythes, celui des immenses puissances financières telles que le pays sait en produire, et celui du pays où “tout est possible” et où chacun a les mêmes chances de réussir.

La construction d’un imaginaire national

Par ailleurs, si les États-Unis adorent s’inventer des ennemis et les monter en épingle, il est en revanche insoutenable pour eux de se voir en victimes d’une authentique défaite, et je doute qu’ils prennent sciemment le risque d’en subir.

Virtuellement, au cinéma ou dans les comics, les États-Unis ont été menacés par des saboteurs nazis, par des sous-mariniers japonais, par des arabes délirants (les Lybiens dans Retour vers le futur, par exemple), ou par d’autres aliens, venus de l’espace ou de pays exotiques. Mais ces défaites, toujours dues à la fourberie de l’ennemi, ne sont jamais que provisoires.

Le cas-limite est le film Pearl Harbour, par Michael Bay (2001), qui transforme une défaite historique traumatisante en quasi-victoire, puisque l’on y voit deux valeureux pilotes détruire à eux seuls la plupart des avions japonais puis, quelques mois plus tard, aller bombarder Tokyo : le film s’achève donc sur un succès, le martyr est exclu.

La politique extérieure américaine n’est justifiée, dans l’opinion publique du pays, que par le sentiment d’être du “bon côté”, d’être mondialement enviés (et donc d’avoir toutes les raisons de se défendre, y compris préventivement) et enfin, par un sentiment d’invincibilité, du moins d’invincibilité sur leur propre sol, car ailleurs il en va autrement : les guerres de Corée, du Viêt Nam, d’Irak ou d’Afghanistan sont loin de pouvoir être qualifiées de victoires. Si la défaite extérieure est gérée par diverses fictions et par des rites (le rapatriement des soldats tombés pour le drapeau, les cérémonies dans les cimetières militaires,…), la défaite intérieure n’a pas vraiment d’image, n’est pas imaginable. Quant à l’agression, elle est toujours de l’autre côté : en se fiant exclusivement aux films de fiction, on peut imaginer que les États-Unis sont constamment attaqués par d’autres pays et ne font que répliquer légitimement à ces assauts, tandis qu’en regardant l’Histoire, on constate l’exact opposé : des siècles de guerres”préventives”, “anticipatives”, c’est à dire des guerres déclenchées par les États-Unis.

Pour accepter sa situation très singulière — celle d’un empire martial bâti sur une terre spoliée qui assure le confort d’une partie de ses citoyens au détriment du reste du monde, si l’on doit résumer —, les États-Unis ont construit assez spontanément une mythologie séduisante en laquelle ils sont les premiers à croire, qui s’exprime avant tout dans les fictions populaires et qui propose au public mondial une vision symbolique cohérente de la marche du monde. La légitimité de la domination ; la supériorité de la décision sur l’analyse ; de l’action sur la réflexion ; du “bon sens” (c’est à dire des préjugés) sur l’intelligence ; l’héroïsme des conquêtes ; l’envie ou la jalousie qu’est censé susciter le modèle américain ; etc.

Cow-boys libres et aux pieds sur terre ; président fondamentalement honnête et courageux, protection divine (parfois si bête que les traducteurs français l’éludent des adaptations de séries ou de films), étrangers hostiles mais — et c’est une assez bonne raison — dont les pays sont traités comme une aire de jeu, … Notre imagination, l’imagination planétaire, est en partie limitée, bornée par l’efficacité des scénaristes hollywoodiens.

D’autres modes de pensée existent pourtant

En même temps, les États-uniens sont aussi les premiers producteurs du contre-poison aux œuvres qui relèvent de l’idéologie américaine. Il existe chez eux une grande tradition de résistance au patriotisme forcé, à la bigoterie, à l’impérialisme de leur pays, à la société de consommation, à l’organisation patriarcale et aux académismes esthétiques. On la trouve, à des degrés divers (du rejet total de la civilisation américaine contemporaine à des revendications plus ponctuelles), dans les contre-cultures qu’on a appelées beat, freak, hippie, etc. : William Burroughs, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso, Robert Crumb, John Waters, Philip K. Dick, Bob Dylan et Joan Baez, Hakim Bey, Michael Moore. On la trouve aussi (et souvent en lien étroit avec les précédents cités), à l’université, avec des personnalités telles que Noam Chomsky, Donna Haraway, Angela Davis, Howard Zinn. On peut bien sûr remonter plus loin dans l’histoire avec des gens tels que Henry David Thoreau. Il existe aussi une forte contre-culture « de droite », parfois opposée à l’État fédéral : survivalistes et autres libertariens.

Mais tous ces mouvements plus ou moins underground souffrent d’une part de leur statut, qui fait d’eux, et parfois malgré eux, des cautions démocratiques, mais ils souffrent aussi de leur récupération médiatique : caricaturés, achetés, transformés en marques, en clichés, victimes d’hagiographies qui renvoient leur pensée et leur engagement à l’histoire ou la résument à des anecdotes,… Qu’on les ignore, qu’on fasse d’eux les épouvantails de leur propre engagement ou qu’on les affaiblisse en les célébrant ou même en continuant leur travail, ils sont toujours gérés et, finalement, à peu près inoffensifs.

Plus efficaces sont parfois les artistes qui jouent le jeu de l’entertainment et avancent en quelque sorte masqués, touchant un large public et parvenant à donner une publicité extraordinaire à des idées subversives. Bien sûr, leur attitude peut aussi être questionnée et elle est à double-tranchant : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, certes, mais dans un message transmis sous forme de divertissement, c’est le divertissement qu’on retient le plus, et qui reçoit le consentement, pas l’éventuel message politique.

De plus, ces œuvres se perdent souvent dans la masse des films ou des séries de propagande patriotique qui, souvent, épousent le même forme et ont les mêmes qualités, et qui feignent même parfois la subversion (un président noir dans 24 heures chrono, par ex). Pourtant, j’admire beaucoup les figures de cette étonnante “contre-culture mainstream”, si on me permet cet oxymore, dans laquelle je range, à des niveaux de subversion, là encore, très divers, Matt Groening (Les Simpson, Futurama), Joss Whedon (Buffy, Angel, Firefly), Tim Burton (pour Beetlejuice, Edward Scissorhands et Mars Attack), Paul Verhoeven (pour Robocop et Starship Troopers) et même, je suis près à le défendre, James Cameron (Terminator, Aliens, Dark Angel, Avatar).

De nouvelles pistes sur l’après-11 septembre

Je voulais parler du 11 septembre 2001 et je me lance dans un discours anti-impérialiste anti-américaniste primaire qui conclut en affirmant que James Cameron est un cinéaste subversif. Parmi le déluge d’articles consacrés à cet anniversaire, je doute que quelqu’un arrive à faire plus fort que moi.

Alors le 11 septembre 2001, oui, c’est bien un évènement, parce qu’il y a beaucoup de choses derrière. Beaucoup de choses y ont mené, et beaucoup de choses en ont découlé : on n’a pas fini d’en entendre parler. Un travail que j’aimerais vraiment réaliser sur le sujet, ce serait de reprendre chaque série télévisée de l’époque, et voir comment l’attentat a modifié leur ligne politique, quel genre de situations ont été scénarisées (je pense, par exemple, aux épisodes de séries justifiant la torture par exemple), quels nouveaux personnages sont apparus, et bien sûr, quelles séries ont disparu et quelles séries sont nées à ce moment-là.

Quelques articles liés au sujet : Opérations extérieures, Mission: Impossible, L’herbe du voisin bleu du futur est toujours plus pourpre.

__

Billet initialement publié sous le titre “Le jour où les avions se sont arrêtés” sur Le dernier des blogs

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Joshua Schwimmer /PaternitéPas d'utilisation commerciale Brendan Loy/PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification US Army Korea – IMCOM /PaternitéPas de modification How I See Life/PaternitéPas d'utilisation commerciale morizaPaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Sister72

]]>
http://owni.fr/2011/09/08/avions-arretes-11-septembre-2001-world-trade-center/feed/ 9
91 pages de documents de la DGSE sur l’attentat de Karachi http://owni.fr/2011/06/08/91-pages-de-documents-de-la-dgse-sur-l%e2%80%99attentat-de-karachi/ http://owni.fr/2011/06/08/91-pages-de-documents-de-la-dgse-sur-l%e2%80%99attentat-de-karachi/#comments Wed, 08 Jun 2011 06:56:34 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=66792 91 pages de notes, de télex et de rapports de la DGSE sur l’attentat de Karachi, publiés ici pour la première fois, permettront à chacun de se forger une opinion sur ce que les services secrets français savent de cette ténébreuse affaire. Permettant ainsi d’explorer l’une des questions de fond du dossier : celle d’un lien entre cet attentat du 8 mai 2002 contre les ouvriers français chargés de construire des sous-marins à Karachi (où onze d’entre-eux ont péri), et le contrat d’armement à l’origine de leur présence sur place, signé près de huit ans plus tôt, le 21 septembre 1994, par le gouvernement d’Édouard Balladur.

La lecture de ces 91 pages comblera les esprits soucieux de reconstitution factuelle. En particulier, elle leur permettra de découvrir, en détail, les violentes tensions provoquées au Pakistan par le niveau de corruption sur ce contrat. Mais elle décevra les partisans d’histoires vites résumées, défenseurs de thèses définitives. Ceux-là seront frustrés d’y découvrir que la responsabilité d’Al-Qaida n’a jamais été prise au sérieux par les premiers enquêteurs. Ou que la DGSE n’a jamais rédigé, le jour de l’attentat, une note établissant un lien entre cet attentat et un arrêt de commissions décidé par Jacques Chirac dans le cadre de rivalités propres à la scène française (nous y reviendrons plus loin).

Ces pages ont été déclassifiées en plusieurs fois, et adressées au juge Marc Trévidic en charge de l’instruction judiciaire, bien souvent sans soucis de cohérence. Nous avons décidé de vous les présenter en restituant l’ordre dans lequel elles ont été rédigées, entre 1994 et 2009. Et en les regroupant dans dix dossiers chronologiques, correspondant à dix moments importants de l’affaire.

1 – Du 5 mai 1994 au 24 octobre 1997: les premières tensions au Pakistan (11 pages).
La négociation du contrat pour la vente des trois sous-marins Agosta, signé le 21 septembre 1994, fait intervenir un important intermédiaire pakistanais, Amer Lodhi, correspondant local des industriels français de l’armement. Le schéma de corruption profite en particulier à Ali Zardari – époux du Premier ministre de l’époque Bénazir Bhutto, avant de devenir plus tard président du Pakistan. Dès 1997, ces circuits financiers posent problème au Pakistan.


2 – Du 26 juin 1998 au 1er septembre 2000: au Pakistan de multiples procédures contre les bénéficiaires de ce contrat (15 pages).
Sur fonds de rivalités politiques, les militaires ayant profité des schémas de corruption pour le contrat des sous-marins sont inquiétés et poursuivis par l’administration pakistanaise.


3 – Du 8 mai au 11 mai 2002: les télégrammes adressés à la DGSE juste après l’attentat (5 pages).
Dans ce lot de documents, des sources judiciaires ont évoqué la présence d’une note datée du 8 mai 2002 faisant le lien entre l’attentat de Karachi, perpétré le jour même, et l’arrêt du versement de rétro commissions à des bénéficiaires français décidé en 1995 par Jacques Chirac. En réalité, la note où les services secrets français formuleraient eux-mêmes un tel lien n’existe pas. En revanche, il existe quatre comptes rendus de discussions, envoyés au quartier général de la DGSE entre le 8 mai et le 11 mai 2002, où des responsables politiques ou religieux pakistanais formulent leurs propres hypothèses au sujet de l’attentat. Cette liasse se lit plutôt comme un état des lieux des rumeurs sur place, recueillies peu après l’attaque terroriste. Dans ces télégrammes, un sénateur et un ambassadeur, connus pour leur hostilité envers l’Inde, y voient la marque des services secrets indiens. Et, surtout, le responsable d’une fondation islamique, farouchement opposée au président Pervez Musharraf (alors au pouvoir), y voit donc un règlement de compte anti français en relation avec des opérations de corruption au profit du même Musharraf. Sans faire aucun lien avec un arrêt du paiement de commissions ordonné par Chirac.


4 – Du 14 mai au 3 juin 2002: les premiers temps de l’enquête antiterroriste (14 pages).
Les Pakistanais tentent d’accréditer l’idée que l’attentat est l’œuvre d’Al-Qaida, ou d’un groupe venu de l’étranger. Cependant la DGSE montre, dans ses notes, qu’elle privilégie un attentat commis par des Pakistanais.


5 – Du 19 septembre au 26 décembre 2002: la DGSE reçoit les preuves des falsifications (12 pages).
La police pakistanaise interpelle deux suspects dans le dossier de l’attentat du 8 mai. Les agents de la DGSE relèvent des incohérences et surprennent les Pakistanais en flagrant délit de falsification (voir la note au sujet de la carte grise d’un présumé jihadiste).


6 – Du 14 mars au 8 septembre 2003: une évolution dans l’enquête (11 pages).
À la veille du procès des deux suspects, des services secrets français doutent toujours de leur culpabilité et s’intéressent à un important chef pakistanais, à la tête de plusieurs groupes islamistes armés, Amjad Farooqi.


7 – 28 septembre 2004: la mort d’Amjad Farooqi (5 pages).
Le 26 septembre de la même année Amjad Farooqi est tué dans une opération de police. La DGSE le présente clairement comme le cerveau de l’attentat du 8 mai 2002, mais précise qu’il n’entretient pas de lien étroit avec Al-Qaida. Des mentions blanchies dans la note ci-dessous donnent à penser qu’Amjad Farooqi était considéré comme un supplétif d’une partie des services secrets pakistanais de l’ISI.


8 – Du 7 mars au 9 septembre 2004: l’apparition tardive de l’hypothèse Al-Qaïda (9 pages).
Les interrogatoires de lieutenants d’Al-Qaïda emprisonnés à Guantanamo relancent la piste de l’organisation d’Oussama ben Laden comme responsable de l’attentat du 8 mai 2002. Mais dans ces documents, la DGSE ne règle pas les contradictions qu’elle avait elle-même identifiées pour écarter cette hypothèse.


9 – 17 février 2006: l’agrégation d’éléments disparates (6 pages).
Dans cette synthèse d’étape, la DGSE continue de pointer la responsabilité d’Amjad Farooqi tout en rajoutant celle d’Al-Qaïda.


10 – 7 mai 2009: l’acquittement des principaux suspects (3 pages).
La DGSE maintient sa version mais prend acte de l’acquittement des deux principaux suspects pakistanais. Les rédacteurs de la note rappellent les contradictions des éléments matériels recueillis par la police pakistanaise.



Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa MichaelMKenny

Image de Une CC Elsa Secco

Retrouvez notre dossier du jour sur Karachi :

]]>
http://owni.fr/2011/06/08/91-pages-de-documents-de-la-dgse-sur-l%e2%80%99attentat-de-karachi/feed/ 7